Sally Bilaly Sow
Quels sont les défis rencontrés par la jeunesse dans les technologies de l’information et de la communication en Guinée ?
De nos jours, je dirais que le défi majeur que nous rencontrons se trouve au niveau de la formation. En observant le programme d’enseignement en Guinée, nous nous rendons compte qu’il est en déphasage avec les réalités actuelles. Mais cela ne devrait pas empêcher les jeunes de se tourner vers la bibliothèque mondiale qu’est Internet, afin de s’abreuver de savoirs, de comprendre comment le monde évolue et de s’adapter au contexte mondial actuel.
Le défi, aujourd’hui, est de faire d’abord un travail d’information, de sensibilisation, mais aussi de formation à l’endroit des jeunes afin qu’ils puissent saisir l’importance des technologies de l’information et de la communication et de l’innovation participative dans le développement d’une nation. Ils doivent aussi cerner l’importance de toutes ces innovations que nous voyons aujourd’hui à travers le monde, qu’Internet nous permet d’utiliser sans même avoir eu à les créer. Mais nous sommes des consommateurs.
Le défi, aujourd’hui, est de faire d’abord un travail d’information, de sensibilisation, mais aussi de formation à l’endroit des jeunes afin qu’ils puissent saisir l’importance des technologies de l’information et de la communication
La jeunesse guinéenne, se bat, avance, fait pas mal de choses certes, mais à mon avis le défi aujourd’hui est d’innover au service de la communauté, d’innover en fonction de nos réalités, d’innover en fonction des besoins de la population et comprendre comment toutes ces technologies civiques fonctionnent afin de pouvoir répondre aux défis qui sont les nôtres.
Face aux réalités et aux défis des communautés, pouvons-nous dire que les infrastructures en matière de TIC sont disponibles et accessibles à la jeunesse guinéenne ?
Nous ne pouvons pas nier l’existence des infrastructures et depuis une décennie nous notons une amélioration de la qualité de celles-ci. Cependant, l’existence de ces infrastructures doit être en phase avec les besoins actuels de la jeunesse. Si aujourd’hui, vous n’avez pas la fibre optique chez vous, c’est un problème. Si aujourd’hui, Internet est encore considéré, à bien des endroits, comme un luxe, c’est encore un problème.
Si aujourd’hui, un ou une jeune élève ne peut pas effectuer des recherches sur Internet, c’est un problème. A mon avis, l’existence des infrastructures ne suffit pas à dire que tout va pour le mieux, mais il faut une réflexion globale qui devrait être menée pour comprendre face à l’existence de ces infrastructures quel est le manque à gagner, comment les exploiter pour servir la communauté, en particulier les jeunes sous employés, comment utiliser de façon rationnelle et normale ces infrastructures existantes de sorte à résoudre la problématique de l’emploi. Il faudrait que l’État s’implique davantage à travers des actions et non à travers des forums sans résultat.
Face à la Covid-19, comment les jeunes guinéens tirent-ils leur épingle du jeu avec l’utilisation des TIC?
La pandémie actuelle a montré les tares que nous avons. Il est bon pour nous de comprendre nos limites afin de changer la donne. Et la jeunesse guinéenne a saisi cette occasion pour innover pas mal de choses. Des jeunes ont développé des applications, notamment l’application Kinsale, qui a été développée par un jeune en 24 heures pour pouvoir répondre au défi informationnel qui existait au début de la pandémie.
Il y a eu des jeunes qui se sont organisés pour déployer une plateforme pour informer et sensibiliser. A Villageois 2.0, nous avons travaillé sur une série de vidéos pour sensibiliser, informer les gens, et lutter contre les fausses informations.
Au fond, la jeunesse guinéenne n’a pas été en marge de la lutte contre le coronavirus et elle a pu s’adapter parce qu’elle était déjà cette jeunesse connectée. Elle comprend comment tout fonctionne, mais un défi majeur perdure : le décalage entre l’administration actuelle et les jeunes.
D’un côté, il y avait cette jeunesse beaucoup plus apte à s’adapter au contexte imposé par la crise sanitaire, et d’un autre côté, il y avait d’autres personnes qui avaient des difficultés à s’adapter. Il a fallu utiliser toutes les acrobaties possibles pour faire comprendre que c’est bien possible de s’en sortir durant la crise.
Je pense que la jeunesse a pu tirer son épingle du jeu malgré le fait qu’il y avait certaines difficultés. Certains, en effet, ont perdu leur emploi, d’autres en télétravail ne jouissait pas d’une bonne connexion à internet… Globalement, aujourd’hui, je dirais que c’est une leçon pour l’ensemble des Guinéens, en particulier les jeunes, ce qui leur a permis d’innover et de comprendre que tout peut arriver à n’importe quel moment.
Vous êtes le coordonnateur de l’association Villageois 2.0, comment la jeunesse se retrouve-t-elle au travers de votre initiative ?
L’objectif principal de Villageois 2.0 est d’accroître la participation citoyenne au niveau local et surtout de promouvoir la citoyenneté. Nous faisons de notre mieux, avec des moyens limités, dans des contextes souvent difficiles. Parfois nous sommes caricaturés d’être opposants et nous avons du mal à nous faire entendre. Cependant, nous sommes en train de jouer notre partition.
Notre rôle est de permettre aux jeunes de se libérer et de s’exprimer. Nous essayons de contribuer à la démocratisation de l’information au niveau local. Nous aidons également à la remontée des besoins identifiés en traitant ces besoins des populations sans même attendre l’intervention de l’État.
Par exemple, nous avons pu rénover un poste de santé à travers une campagne réussie de crowdfunding. Nous avons appuyé et participé à des actions citoyennes de reboisement. Nous avons pu faire pas mal de choses sans attendre l’État. Je crois qu’aujourd’hui, il faut amplifier cette dynamique et surtout documenter ce qui se fait.
Villageois 2.0, malgré ses ressources limitées, reste engagée de par ses activités bénévoles au sein de la société guinéenne. Une société où le désespoir est énorme et l’espoir est minime. Nous ne pourrons nous en sortir qu’en participant au débat, en posant des actions concrètes et c’est ce à quoi, nous nous attelons à Villageois 2.0.
Quels messages voulez-vous adresser à l’endroit de la jeunesse, de la société civile, des partenaires de développement et de l’État en matière de TIC ?
En premier, l’État doit considérer les TIC comme étant des outils de développement, essayer de comprendre leur mode de fonctionnement et s’approprier les différents concepts qui évoluent à travers les TIC. Le gouvernement ne devrait pas prendre les jeunes comme des ennemis, mais plutôt comme des alliés. La jeunesse d’aujourd’hui est exigeante, ce qui est tout à fait normal. Et cette exigence lui sera toujours profitable. Si elle arrive à créer une diligence vis à vis de l’État, elle sera nécessairement exigeante vis à vis d’elle-même.
Les jeunes doivent veiller à l’évolution de leur société et ne pas être en marge de cette évolution. S’ils n’occupent pas cette position de veille, d’autres viendront malheureusement parler à leur place. Aussi, il ne faudrait pas que nous soyons pressés. Il faut que nous acceptions de nous former.
Nous ne pouvons certes pas atteindre la perfection car elle est divine, mais nous pouvons tenter de nous en approcher. Cela va nous permettre de mettre en évidence nos tares et de corriger nos imperfections pour pouvoir répondre aux défis qui nous attendent.
Par rapport aux partenaires au développement, comme j’aime à le dire, il faut co-construire les programmes d’accompagnement des jeunes. Comment ? En incluant les bénéficiaires, c’est-à-dire les jeunes, dans la conception de ces programmes. Il ne sert à rien de proposer des projets/programmes entre les quatre murs d’un bureau et venir les soumettre aux jeunes pour soi-disant les aider. Il faut penser la résolution des problèmes de façon globale avec les jeunes, s’assurer que les solutions apportées répondent à leurs attentes, mais aussi et surtout intégrer leurs avis dans la résolution des problèmes.
Crédit photo : guinee28.info
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