Moralisation de la vie publique en Guinée : Quid des performances et de leur pérennisation?

Moralisation de la vie publique en Guinée : Quid des performances et de leur pérennisation?

Sidafa Doumbouya

Depuis son avènement à la tête du pays le 05 septembre 2021, la junte militaire au pouvoir à Conakry a engagé d’importantes mesures pour la moralisation de la vie publique dans le pays. Au sein de l’opinion publique, ces mesures ont connu de très bonnes appréhensions tant le fléau de la gabegie fut décrié au crépuscule du régime défait.

Au nombre des dispositifs de cette lutte, il faut forcément retenir la mise en place de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), la récupération des domaines de l’État, la dynamisation des organes de surveillance et de contrôle de l’action publique tels que l’Inspection générale d’État, l’Inspection générale des finances, la Cour des comptes, l’Agence nationale de lutte contre la corruption ainsi que la Cellule nationale de traitement des informations financières.

Si les premières actions ont eu l’effet éblouissant d’un coup de projecteur consécutif à un long moment d’obscurité, les décisions des refondateurs de Conakry n’emprunteraient pas le boulevard de l’efficacité et de la pérennité.

De remarquables mesures décidées pour une saine gestion de la chose publique

À la suite du renversement du régime défunt, les jeunes militaires ont annoncé les couleurs. Les biens publics doivent profiter à tous les citoyens du pays. Les gestionnaires indélicats devront rendre compte. Des décisions drastiques n’ont pas tardé. Il y a eu dans un premier temps, la redynamisation de la Cellule de traitement des informations financières (CENTIF). Celle-ci n’avait pas une grande réputation auprès du public guinéen du fait de la non publication des contenus de ses rapports. Mais depuis l’avènement du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), cette cellule est sous le coup des projecteurs dans le pays.

Très craints à une certaine époque, les traditionnels corps de contrôle que sont l’IGF et l’IGE sont tombés en léthargie. Sacrifiés qu’ils furent sur l’autel de la confiscation du pouvoir politique, ces services se sont atrophiés à force de voir leurs rapports battus en brèche pour finir dans les tiroirs du palais

Le CNRD a gelé les comptes bancaires des structures publiques dotées d’une autonomie de gestion.  Autrement dit, il s’agit des comptes des ministres et des hauts cadres comme les directeurs généraux, les chefs de divisions administratives et financières (DAF) entre autres. La CENTIF fut mise à contribution pour passer au peigne fin les transactions suspectes sur lesdits comptes. Des dizaines de cadres ont dû fournir des explications sur toutes les opérations de débit ou de crédit significatives passées sur leurs comptes.

Par ses actes, cet organe de surveillance et d’analyse a envoyé un grand signal vers la moralisation de la vie publique guinéenne indiquant à l’opinion publique qu’il sera difficile de dissimuler des fonds aux origines douteuses dans le système bancaire du pays. Dans un second temps, on a assisté à l’opérationnalisation de l’Agence nationale de lutte contre la corruption (ANLC).

Aussi bien que la CENTIF, elle a été réveillée de sa sieste par les refondateurs de l’État guinéen. Utile mais en berne dans le pays depuis une décennie, cette agence ne se faisait connaitre que par des points de presse de son équipe exécutive, comme c’est le cas d’ailleurs pour tout organe de contrôle dont les rapports sont lettre morte au sommet de l’État.

Au lendemain du 05 septembre 2021, l’ANLC a connu dans son action une nouvelle jeunesse.  Elle fut dotée de pouvoirs plus étendus et de moyens plus importants.  En effet, l’organe a désormais la possibilité de recevoir les dénonciations d’actes de corruption d’agents publics et d’engager directement des investigations pour la collecte des preuves contre les éventuels corrompus et corrupteurs. Longtemps cantonnée dans la capitale à Conakry, l’ANLC se déploie dorénavant à l’intérieur du pays pour produire un effet territorial plus large.

La forte implication de l’ANLC dans la surveillance des politiques et actions publiques est perçue par bon nombre de citoyens comme assez dissuasive contre la corruption. La troisième mesure forte porte sur la remise en route des corps de contrôle que sont l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale d’État (IGE). 

Très craints à une certaine époque, les traditionnels corps de contrôle que sont l’IGF et l’IGE sont tombés en léthargie. Sacrifiés qu’ils furent sur l’autel de la confiscation du pouvoir politique, ces services se sont atrophiés à force de voir leurs rapports battus en brèche pour finir dans les tiroirs du palais. Pourtant, ces rapports ne manquaient pas de contenus susceptibles de provoquer des actions correctives.

L’arrivée du CNRD les a aussi remis en selle. Plusieurs missions d’inspection et de contrôle ont été menées aussi bien dans les départements ministériels, les établissements publics, les sociétés d’États ou parapubliques etc. Les rapports produits sont dans les mains des autorités judiciaires du pays et seront probablement suivis d’effets. 

Les populations estiment que l’intensification des missions de l’IGE et de l’IGF avec des rapports entrainant des actions judiciaires donnera un coup de frein à la prévarication dans la gestion de la chose publique en Guinée. Une commission de récupération des biens de l’État a également vu le jour. 

Même si son action n’est pas nouvelle, la mise en place de la Commission de récupération des biens de l’État avec à sa tête des hauts gradés, est cependant une originalité du CNRD. Les volets techniques de ses opérations sont assurés par la Direction du patrimoine bâti de l’État, mais le centre décisionnel et les forces d’exécution sont sous la houlette des officiers du CNRD.

La majorité des Guinéens convient que le patrimoine immobilier de l’État ne connait pas une gestion optimale. Avec des locataires à vie, des loyers minables et surtout des immeubles très mal entretenus.

Il est aussi fréquent de rencontrer des locataires qui revendiquent la propriété des maisons occupées sans aucun titre. Les opérations de récupération de biens de l’État ont touché des dizaines de terrains et de maisons dont certains ont été carrément démolis pour leur reconstruction.

Cette commission envoie également un signal aux occupants qui avaient en tête de garder les domaines de l’État qui leur avaient été confiés. La mesure phare dans le domaine de la moralisation de la vie publique en Guinée est  la mise en place de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF).   Imaginée pour pallier à l’absence de la Haute cour de justice du pays, cette juridiction jouit de compétences étendues en supprimant les privilèges de juridiction des hauts cadres et en embrassant toutes les affaires économiques et financières portant sur des montants supérieurs à 1 milliard de francs guinéens.

Depuis sa mise en place, elle est saisie d’une centaine d’affaires et presque toutes concernent le secteur public. La CRIEF est considérée comme l’antidote efficace contre le venin destructeur des gestionnaires indélicats de la chose publique.

La majorité des Guinéens convient que le patrimoine immobilier de l’État ne connait pas une gestion optimale. Avec des locataires à vie, des loyers minables et surtout des immeubles très mal entretenus

Avec ces mécanismes  mis en place par le CNRD, la Guinée se dirige – t – elle vers des résultats solides en matière de bonne gouvernance ? Qu’adviendra-t-il des institutions mises en place après la transition ? 

L’incertitude autour de l’efficacité des mesures de moralisation de la vie publique en Guinée

Les mesures ci-dessus évoquées doivent aboutir à la réduction significative du nombre de cas de corruption, des malversations et détournements de deniers publics et des biens de l’État ainsi que leurs impacts sur les conditions de vie des citoyens du pays. L’atteinte de ces objectifs pourrait se heurter à certains obstacles. Parmi ces difficultés, on peut citer, les obstacles matériels et financiers. Les ressources matérielles et financières allouées à l’application des mesures de moralisation de la vie publique sont très insuffisantes au regard de l’ampleur des tâches. La CENTIF par exemple est limitée dans sa présence géographique à son bureau de Conakry. Celui-ci compte quelques membres. Il lui sera impossible de traiter efficacement des milliers de transactions suspicieuses dans le secteur bancaire aussi bien dans la capitale que dans les 33 préfectures du pays.

Quant à l’ANLC, elle est en train de se déployer dans les 7 régions administratives du pays. D’importantes franges d’acteurs et de bénéficiaires de l’action publique pourraient ne pas bénéficier des services de cet organe en cas de corruption dans les contrées profondes du pays.

Concernant la CRIEF, le bureau du procureur comprenant quelques magistrats reste cantonné dans la capitale, tout comme les actions de la Commission de récupération des biens de l’État dont les actes sont très visibles à Conakry mais peu perceptibles à l’intérieur du pays. Pour ne pas rester dans la symbolique, les mesures de moralisation de la vie publique en Guinée doivent avoir des moyens matériels et financiers plus renforcés. La moralisation de la vie publique en Guinée est par ailleurs confrontée à des obstacles institutionnels et humains. Malgré le soutien indéfectible du CNRD et l’adhésion de la majorité des Guinéens, les institutions subiront des pressions de toutes sortes dans l’accomplissement de leurs missions respectives. Les dossiers et actes concernant les personnalités actuellement hautement placées, une fois  à la CENTIF, l’ANLC ou la CRIEF pourraient échapper à la diligence et la rigueur requises de la part des techniciens par crainte de représailles.

Il en est de même pour ceux des puissants opérateurs économiques du pays pouvant user de leurs relations ou capacités financières sous forme de pots de vins énormes pour échapper à la répression de leurs actes illicites sur les biens publics.

Les ressources matérielles et financières allouées à l’application des mesures de moralisation de la vie publique sont très insuffisantes au regard de l’ampleur des tâches

Au niveau institutionnel, il est à craindre une partialité des différentes institutions du fait de l’influence de l’exécutif par les acteurs qu’il nomme. Le cloisonnement entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, socle d’une  gouvernance vertueuse est peu perceptible. Aussi, la société civile nationale n’est pas impliquée et ne porte pas un regard attentif sur les opérations déclenchées.

L’arsenal de moralisation de la vie publique en Guinée pourrait louper le virage  de la pérennité

La CRIEF, la CENTIF, L’ANLC ou la Commission de récupération des biens de l’État   sont considérées comme des symboles de la moralisation de la vie publique en Guinée pendant cette transition. Après la période transitoire, ces instruments seront à la disposition des acteurs politiques plus soucieux de la conquête et la conservation des pouvoirs acquis par votes populaires que des vertus d’une gestion performante.

En réalité, les organes agissant actuellement pour moraliser la vie publique en Guinée n’ont pas d’assises populaires au sein de la société civile guinéenne. Ils ont pourtant besoin de ces assises pour les protéger contre les influences politiciennes. Les mécanismes de sécurisation des responsables de ces organes sont quasi– inexistants face aux menaces provenant d’éventuelles personnalités indélicates dans la gestion de la chose publique.

Au niveau institutionnel, il est à craindre une partialité des différentes institutions du fait de l’influence de l’exécutif par les acteurs qu’il nomme. Le cloisonnement entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, socle d’une  gouvernance vertueuse est peu perceptible

Des transactions douteuses dans le secteur bancaire imputables aux membres du gouvernement pourront – elles être analysées par la CENTIF sans risques de pression politique ? Aussi, les marchés de travaux publics avec le parfum de surfacturation, les permis miniers délivrés en violation évidente des textes à partir du moment où ils servent à financer la propagande seront-ils appréciés par l’ANLC avec toute la rigueur requise ?

Pour finir, disons que les chantiers de la moralisation de la vie publique en Guinée ouverts par le CNRD ont acquis l’adhésion d’une bonne partie de la population. Ces mesures donnent un certain éclat aux actions des autorités actuelles du pays en transition militaire mais il faut du temps pour juger de leur efficacité en termes de résultat. Il est aussi légitime d’avoir des réserves sur le sort de cette noble lutte au-delà de la période transitoire estimée à 24 mois.

 


Crédit photo : lecourrierdeconakry.com

Sidafa Doumbouya

 

Sidafa Doumbouya est spécialiste de gestion financière et audits comptables et financiers. Il est titulaire d’un MBA en banque et finances du Centre africain d’études supérieures en gestion (CESAG-Sénégal). Actuellement consultant en économie, il a conseillé plusieurs entreprises et investisseurs en Guinée dans les procédures d’installation et le montage financier de leurs projets.

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