Auteurs : Vincent Foucher, Tangi Bihan
Site de publication : Hal Open Science
Type de Publication : Rapport
Date de publication : Juin 2022
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Introduction
Le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) a été créé en avril 2019 pour lutter contre les manœuvres du président Alpha Condé pour changer la Constitution et s’octroyer un troisième mandat. Forgé autour d’un petit noyau de membres de la société civile, le FNDC a formé une coalition avec les partis politiques opposés au président Condé.
Il a mené une lutte résolue, malgré les nombreuses victimes lors de la répression des manifestations, les arrestations, les départs en exil de certains de ses militants. Si Condé a pu s’assurer un troisième mandat malgré cette résistance, il y a perdu la légitimité qui lui restait et il s’est fait balayer le 5 septembre 2021 par un coup d’État militaire. À compter de juin 2022, le FNDC est maintenant à la pointe des mobilisations pour inciter la junte militaire à garantir un retour rapide au pouvoir civil
Une scène politique bloquée
La phase électorale qui a amené Condé au pouvoir a été extrêmement troublée, avec d’une part de vives controverses autour des élections elles-mêmes, et donc un défaut de légitimité du processus électoral, défaut qui a persisté, et d’autre part une ethnicisation aiguë du jeu politique. En effet, le deuxième tour des élections de 2010 a vu s’affronter le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, qui ont mobilisé fortement sur des bases ethno-régionales – le RPG parmi les Malinkés de Haute-Guinée et l’UFDG parmi les Peuls de Moyenne-Guinée.
Pendant le premier mandat d’Alpha Condé et la moitié de son deuxième mandat, si les partis politiques, et notamment l’UFDG, ont mobilisé fortement, aucun mouvement social important n’a remis en cause la gouvernance du RPG durant son premier mandat. Le régime a su coopter les forces contestataires de la période 2006-20072 , notamment le Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC), qui était à l’époque la principale plateforme fédérant la société civile.
Des « Forces sociales » au FNDC : d’un mouvement social à un mouvement citoyen
Déçus par cet échec et voyant les velléités de troisième mandat se concrétiser, une partie des leaders des Forces sociales se rassemblent, toujours autour de Sano et de la PCUD – c’est dans les locaux de la PCUD que se tiennent les réunions. Le 3 septembre 2018, ils organisent une prestation publique de serment sur le Coran et sur la Bible, s’engageant à défendre la charte et les valeurs des Forces sociales, procédure inhabituelle et indication du problème de confiance qui existe alors au sein de la société civile.
Le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) a été créé en avril 2019 pour lutter contre les manœuvres du président Alpha Condé pour changer la Constitution et s’octroyer un troisième mandat. Forgé autour d’un petit noyau de membres de la société civile, le FNDC a formé une coalition avec les partis politiques opposés au président Condé
Un noyau d’une dizaine de personnes se constitue ainsi autour de Sano. Dans le même temps, les partis d’opposition ont commencé à discuter d’un objectif commun : empêcher Alpha Condé de s’accrocher au pouvoir. Au terme de contacts entre ces deux groupes, l’idée d’un front commun se forme, qui emprunte à des modèles aussi bien endogènes (les luttes de 2006-2007) qu’exogènes (le M23 sénégalais). Le FNDC est lancé officiellement le 3 avril 2019. Il appelle tous les acteurs sociaux et politiques à rejoindre le mouvement et il incite les citoyens à s’organiser localement et à former des antennes dans tout le pays.
Fonctionner en souplesse
Le FNDC n’a pas d’existence légale formelle. Sous Alpha Condé, il n’a pas demandé de récépissé et il n’a pas changé de posture depuis la prise de pouvoir du CNRD. Le fait de ne pas avoir d’existence juridique est un moyen de se protéger. D’une part, les autorités ne peuvent pas dissoudre l’organisation, ni la poursuivre en justice. D’autre part, comme l’organisation n’a pas de bailleurs de fonds institutionnels, ces bailleurs ne peuvent être soumis à des pressions.
Les risques en la matière sont réels, comme en témoignent plusieurs responsables d’organisations formalisées de la société civile : face à des organisations jugées trop critiques, le régime Condé a refusé de répondre à leur demande de renouvellement d’agrément ou a fait pression sur les bailleurs de fonds de ces organisations pour qu’ils mettent fin à leurs financements (souvent avec succès).
Représenter la nation face au danger ethno politique
La question des communautés ethniques et de la nation est devenue une préoccupation centrale pour la société civile guinéenne dans les années 2010 – en 2010, un rapport des Nations-Unies avait même traité (en le rejetant nettement) le risque de génocide en Guinée. Pour les OSC qui se fédèrent dans le FNDC, il y a là un enjeu majeur, et l’organisation et le fonctionnement du FNDC visent à représentation la nation unie.
L’alliance de partis politiques variés et la multiplication des antennes du FNDC ont donné un caractère national à la lutte. La présence du PADES d’Ousmane Kaba, malinké comme Alpha Condé, et les fortes mobilisations en Basse-Guinée et en Guinée forestière ont contredit les tentatives du pouvoir de réduire le FNDC à l’UFDG ou aux Peuls.
Combiner et faire évoluer les modes d’action
Le FNDC a d’abord tenté de dissuader Alpha Condé de changer la Constitution en organisant des manifestations massives et en appelant la communauté internationale à faire pression sur le régime. Dans un deuxième temps, quand Alpha Condé a fait adopter la nouvelle Constitution, le FNDC a appelé implicitement les FDS à renverser le régime, ou au moins à laisser les manifestants chasser Alpha Condé, en leur demandant de « prendre [leurs] responsabilités » et de « se ranger derrière les aspirations du peuple de Guinée ». À côté des manifestations, et de plus en plus quand les manifestations sont devenues impossibles, le FNDC s’est employé à user de légitimité du régime, notamment par des actions en justice et par un travail de plaidoyer auprès de la communauté internationale.
La stratégie de mobilisation s’est appuyée largement sur les réseaux sociaux. La communication du FNDC était très soignée, grâce aux compétences des responsables et des militants en la matière. À côté de l’effort « officiel » mené par le FNDC (qui comprenait une web TV), de nombreuses pages Facebook ont été créées de façon spontanée par des militants pour relayer les mots d’ordre et les slogans, saturer les réseaux sociaux et garantir une reprise par la presse privée guinéenne. Cette bataille numérique visait notamment à emporter le soutien des indécis en suscitant leur indignation, notamment en dénonçant la répression opérée par les FDS. Le pouvoir ne s’est pas montré capable de bloquer cette activité numérique.
Résister à la répression grâce aux soutiens internes et externes
L’usage du numérique était un moyen crucial de mobiliser en échappant à la répression. La communication interne au FNDC fonctionne avec des systèmes de boucles sur des messageries cryptées, empêchant l’espionnage ou le piratage des données par les autorités. L’usage de ces boucles permet par ailleurs de se passer de réunions physiques, ce qui est particulièrement utile lorsque les risques d’arrestations sont élevés ou que des membres se cachent. Les comptes créés sur les réseaux sociaux étaient gérés depuis l’étranger, par des personnes qui ne risquaient pas d’être arrêtées.
Et pour assurer l’intégralité des communications, le FNDC a bénéficié des compétences de certains membres de la société civile et des partis politiques en matière de cybersécurité. Ces personnes ont par ailleurs participé, au titre de leurs organisations respectives et non du FNDC, à des formations en matière de sécurité informatique délivrées par des ONG, comme Africtivistes.
FNDC-CNRD : un rendez-vous manqué ?
La junte a immédiatement procédé à la libération des prisonniers politiques, dont Fonike Menguè, et elle a autorisé le retour des exilés, dont Ibrahima Diallo, Sékou Koundouno, Fodé Sanikayi Kouyaté, Saikou Yaya Diallo et Djanii Alfa. Ces derniers ont été accueillis en triomphe à Conakry avant que la coordination nationale du FNDC ne soit reçue officiellement par Mamadi Doumbouya. Alors que la Cédéao se montrait méfiante face aux putschistes, le FNDC a fait la tournée des chefs d’État de la sous-région36 pour leur demander d’accompagner le CNRD.
Le FNDC a également salué certaines mesures du CNRD, comme la création de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), destinée à la lutte contre la corruption. Tout ceci laissait penser qu’un accord serait possible.
Vers une nouvelle mobilisation ?
Le FNDC récuse toute représentativité au CNT et plaide pour l’ouverture d’un dialogue sur les conditions de la transition. Comme les partis politiques, le FNDC a considéré que le « cadre de concertation inclusif » entre acteurs politiques et membres de la société civile inauguré le 15 avril par le CNRD ne répond à ses attentes : il ne faut pas à la Guinée une concertation organisée par des autorités de transition à la légitimité faible, il faut un dialogue entre les autorités de transition, les partis politiques et la société civile supervisé par les partenaires internationaux du pays.
Ils ont dénoncé le fait de ne pas avoir été associés à cette décision et une gestion financière opaque. Si certains affirment que cette fronde était téléguidée par le CNRD, la liste des griefs est plus large : manque de reconnaissance et de valorisation du travail des antennes par la coordination nationale, manque de communication et de concertation interne au mouvement. Certains responsables d’antennes reprochent aussi à la coordination de n’avoir pas effectué une tournée nationale après le coup d’État pour rendre hommage aux militants locaux, et de ne pas les avoir informés du contenu des discussions lors des rencontres avec les chefs d’État de la sous-région et avec le CNRD.
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