Aliou Barry
Dans mon ouvrage sur l’armée guinéenne, j’évoquais déjà la restructuration de l’outil de défense nationale. Au regard de la situation sécuritaire du pays et le comportement des Forces de défense et sécurité (FDS) actuelles, aucune autre alternative n’est offerte aux prochains dirigeants de la Guinée sinon celle de supprimer les actuelles de forces de défense et de sécurité et mettre en place un nouvel outil de défense nationale répondant aux besoins de sécurité nationale.
Les forces de défense et de sécurité dans leur configuration actuelle ne sont pas outillées pour faire face aux vraies menaces qui pèsent sur le pays à savoir : l’extrémisme violent, le chômage, l’emploi des jeunes, le grand banditisme etc. Pour l’extrémisme violent, le Centre de hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) du Sénégal a organisé plusieurs séminaires régionaux réunissant à chaque fois plus d’une soixantaine de participants d’une dizaine de pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale, officiers supérieurs, responsables de cabinets de ministères de la défense et de l’intérieur, des coordonnateurs du renseignement, des parlementaires, hauts cadres de l’administration, représentants de la société civile et chercheurs.
Toutes les études menées montrent que cet extrémisme violent est une des causes de l’instabilité que connaît de nombreux pays de la région et les forces de défense et de sécurité ne sont pas outillées pour y faire face. Les causes profondes de l’extrémisme violent sont essentiellement l’exclusion politique, la stigmatisation sociale ou identitaire, la pauvreté, le manque d’éducation, le chômage, les politiques sécuritaires inadéquates, la corruption, l’absence de l’État ou l’impact négatif d’une présence de l’État mal assurée, la criminalité.
Par ailleurs, l’impunité des militaires et policiers guinéens dépasse le cadre légal de maintien de l’ordre et cette impunité témoigne du manque de contrôle des civils sur les forces de défense et de sécurité. Ces dernières sont habituées à réprimer des civils et le silence coupable des institutions d’intégration et de coopération régionales (CEDEAO et UA) les encourage dans ces actes de répression.
Les actes de radicalisation observés dans de nombreuses localités de la Guinée résultent de l’injustice sociale, de la mauvaise gouvernance, de l’exclusion de certaines catégories de la population notamment des jeunes en raison de leur origine ethnique
Au niveau des jeunes de la périphérie urbaine de Conakry, le sentiment de persécution, la répression des forces de défense et de sécurité jouent un rôle fondamental dans leur radicalisation. Car, comment convaincre un jeune de «l’axe» (Hamdallaye,Bambeto, des communes des Conacky) de renoncer à la radicalisation si on ne lui offre aucune perspective d’emploi, la possibilité de s’épanouir dans un cadre familial décent.
Les actes de radicalisation observés dans de nombreuses localités de la Guinée résultent de l’injustice sociale, de la mauvaise gouvernance, de l’exclusion de certaines catégories de la population notamment des jeunes en raison de leur origine ethnique. Et combien de fois j’ai été interpellé par les chancelleries occidentales sur une prétendue radicalisation islamiste dans le milieu peulh en Guinée.
La nouvelle armée devra être réorganisée et transformée en un grand service public de sécurité intérieure regroupant la gendarmerie nationale, la police nationale et la protection civile
L’actuel président de la République a toujours invoqué cette idée de menace terroriste islamiste pour faire taire son principal opposant Peulh, Cellou Dalein Diallo pour justifier son objectif d’un troisième mandat en révisant une Constitution obtenue au prix d’une haute lutte politique. Et pourtant, la République de Guinée est le pays d’Afrique de l’Ouest où les peulhs sont les plus nombreux néanmoins, ils sont restés à l’écart des groupes terroristes qui sévissent dans la région sahélienne, pour combien de temps encore, je ne saurai le dire.
Pourquoi une nouvelle architecture de défense nationale?
C’est au regard de la situation actuelle des forces de défense et de sécurité qu’il est temps de dessiner de nouvelles perspectives de défense nationale pour la Guinée de demain. Le prochain pouvoir en Guinée devra envisager une refonte complète du dispositif de défense par la réorganisation des structures des forces armées. Cette réorganisation de l’armée guinéenne s’imposera pour permettre à cette dernière de remplir ses missions traditionnelles de défense nationale. En effet dans sa phase de reconstruction politique, la nouvelle équipe dirigeante du pays, ne pourra point faire l’économie sur la nécessaire réorganisation de son outil de défense.
Celle-ci est devenue indispensable pour assurer un environnement sécurisé d’autant que les facteurs d’instabilité sont légion sur le continent. Aucun développement durable n’est envisageable en Guinée sans un environnement politique, économique et social sécurisé. La réorganisation de l’outil de défense se fera par la redéfinition et la mise en œuvre de nouvelles missions du futur service public de sécurité intérieure. Un accent particulier devra être mis sur la formation et le statut du militaire guinéen devra être revisité et appliqué pour éviter toute dérive clanique. Il faudra aussi instaurer un environnement institutionnel démocratique qui puisse empêcher l’instrumentalisation de l’ethnicité au profit des intérêts sociaux et politiques d’un clan.
La réorganisation de l’outil de défense se fera par la redéfinition et la mise en œuvre de nouvelles missions du futur service public de sécurité intérieure. Un accent particulier devra être mis sur la formation et le statut du militaire guinéen devra être revisité et appliqué pour éviter toute dérive clanique
La nouvelle armée devra être réorganisée et transformée en un grand service public de sécurité intérieure regroupant la gendarmerie nationale, la police nationale et la protection civile. En lieu et place donc des structures actuelles, on verrait naître une véritable entité unique de sécurité intérieure qui aura pour mission essentielle de participer, comme force de police à la défense intérieure du pays.
La défense extérieure s’organisant autour d’unités militaires professionnalisées (UMP/terre, air et mer) et dans le cadre sous régional à travers des unités militaires professionnalisées pré-positionnées. Ce grand service public de sécurité intérieure veillera spécialement sur les installations d’intérêt national, sur les voies de communication, les zones frontalières, venir en aide à la population.
Depuis son indépendance, l’histoire de la Guinée est marquée par de profondes blessures. C’est pourquoi à partir de 2021, la Guinée pourra innover en Afrique de l’Ouest en prenant le chemin du Costa Rica qui ne dispose pas d’ armée depuis sa guerre civile de 1948. Le Costa Rica a fait de la paix son image de marque. En effet tout a commencé quand ce petit pays d’Amérique latine a décidé de supprimer l’armée et de l’inscrire dans sa Constitution: une première mondiale.
Monsieur Oscar Arias Sanchez, ancien président costaricain et prix Nobel de la paix en 1987 disait à l’occasion de cette suppression de l’armée: «certains pensent que nous sommes vulnérables parce que nous n’avons pas d’armée. C’est exactement le contraire. C’est parce que nous n’avons pas d’armée que nous sommes forts». Aujourd’hui, le pays n’a pas d’armée et a proclamé sa neutralité active. La défense du pays est assurée par le système de sécurité régionale regroupant divers pays des Caraïbes.
A la place de l’armée, c’est la force publique qui s’occupe d’à peu près tout depuis 60 ans. Elle est chargée à la fois de la police judiciaire, de la sécurité, du maintien de l’ordre, de la surveillance de frontières et de lutter contre les trafics. Le budget de l’armée a été transféré à d’autres causes. La suppression des dépenses dévolues à l’armée permet chaque année de financer trois hôpitaux et l’ensemble des universités publiques du pays. Dans ces deux domaines, l’éducation et la santé, le Costa Rica affiche des statistiques très enviables pour l’Amérique latine: ainsi le taux d’alphabétisme atteint 97% et l’espérance de vie atteint 80 ans. La Guinée a tout intérêt à prendre ce chemin comme en 1958 pour être le premier pays en Afrique de l’Ouest à supprimer son armée nationale.
Je suis conscient, au risque de me répéter, que ce travail de restructuration de l’armée guinéenne sera long et difficile mais, c’est le prix à payer pour l’émergence et la consolidation d’un système politique démocratique en Guinée. Professionnel et expert de ces questions de défense et de sécurité, je reste convaincu que la présente réflexion ouvre des possibilités d’espérance et de débats.
Crédit photo : RTS Info
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