Sylvain Félix Semilinko
Les derniers événements au Mali avec l’irruption des militaires sur la scène politique et la démission du président Ibrahim Boubacar Keita ont déclenché, comme de coutume, une avalanche de réactions. Elles expriment la désapprobation, des condamnations, des menaces voire des sanctions. Tant il est vrai qu’au 21ème siècle, à l’ère des démocraties retrouvées en Afrique, un coup de force militaire paraît anachronique.
La communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a, sans doute, vu venir le danger. Cependant, ces préconisations pour résoudre la crise politique consécutive aux législatives de mars 2020 en Guinée paraissaient comme les arrangements et autres tripatouillages souvent convenus par certains «syndicats de dirigeants» sur le continent.
Au Mali, la Constitution fait du président de la République le vigile du “respect de la Constitution” et surtout, lui confère le pouvoir «d’assurer, par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics». L’inversion des résultats proclamés par le ministère de l’Administration territoriale du gouvernement du président Keita par la Cour constitutionnelle dont il nomme trois (03) membres, dénotait déjà d’une crise au sommet de l’État. L’arbitrage du président, n’est pas intervenu comme le prescrit la Constitution sur laquelle il a prêté serment. La valse de démissions des membres de la Cour constitutionnelle a achevé de convaincre du dysfonctionnement des institutions.
La CEDEAO, en médiation, oppose une fin de non-recevoir aux opposants qui demandent la démission du chef de l’État, mais recommandent la démission des députés dont les sièges procèdent de l’invalidation de la Cour constitutionnelle et la nomination d’une nouvelle Cour. Les députés mis en cause, majoritairement du camp présidentiel, refusent de démissionner. Pis encore, l’un d’entre eux élu président de l’Assemblée nationale a exercé ses prorogatives de nomination de trois (3) membres de la nouvelle Cour constitutionnelle.
Le Mali est le dernier cas en date de l’illisibilité des postures de la communauté internationale sur les crises politiques en Afrique et leur prévention. En Côte d’Ivoire, pour la présidentielle de 2000, après la chute du chef de la junte, nombre de pays et d’organisations internationales avaient souhaité la reprise de l’élection. Puis tous intérêts bien compris, se sont rétractés.
La CEDEAO, en médiation, oppose une fin de non-recevoir aux opposants qui demandent la démission du chef de l’État, mais recommandent la démission des députés dont les sièges procèdent de l’invalidation de la Cour constitutionnelle et la nomination d’une nouvelle Cour
Quelques pays nord européens qui se faisaient trop insistants se sont vu rappeler leur méconnaissance de la politique africaine et de son fonctionnement démocratique, entre autres par le député socialiste français, François Loncle. La France, ancienne puissance coloniale, en pleine cohabitation, ne semblait pas pouvoir parler d’une même voix. Le statu quo a été maintenu. Cette élection chaotique a été un des détonateurs de la rébellion de 2002 dans le pays, selon leurs auteurs.
En 2010, l’inversion des résultats de la présidentielle par le Conseil constitutionnel, toujours en Côte d’Ivoire, a conduit à l’une des plus graves crises post électorales. De conciliabules en tergiversations les dirigeants africains ont dû se ranger à la position de l’Organisation des Nations Unies qui avait pour mission, la certification de cette élection.
Le Mali est le dernier cas en date de l’illisibilité des postures de la communauté internationale sur les crises politiques en Afrique et leur prévention
A l’arrivée le même Conseil constitutionnel a reçu les serments des deux (2) prétendants au fauteuil présidentiel. Alassane Ouattara a été proclamé élu au nom du principe du caractère supra des résolutions et accords internationaux sur la Constitution. Ce qu’ont fait valoir certains constitutionnalistes ivoiriens. Et le président du Conseil constitutionnel, Mr Paul Yao Ndré de trouver la bonne excuse, la parade, «on a été tous possédé par le diable» ! 3000 morts officiellement sont passés dans l’antre du diable!
Plus récemment avec la présidentielle de 2018 en République Démocratique du Congo, la division de la communauté internationale s’est encore manifestée. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) qui a déployé des dizaines de milliers d’observateurs a mis en doute les résultats de la Commission électorale. Le ministre français des Affaires étrangères abondait dans le même sens en déclarant: «il semble que les résultats prononcés ne soient pas conformes aux résultats qu’on a pu constater.
La CENCO a fait des vérifications et a annoncé des résultats totalement différents». La France a même promis de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour que «les résultats constatés soient les résultats réels.» Le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a, de son côté, «pris note de l’annonce faite par la Commission électorale nationale indépendante du Congo (CENI).
La situation en est restée là. De facto, la communauté internationale a entériné l’élection du président Félix Tshisekedi, telle que proclamée par la CENI et le Conseil constitutionnel congolais. Il s’agissait «d’un moindre mal pour accompagner le Congo sur la voie du développement» argumentait-on. En clair pour l’Afrique, on peut se contenter du minimum démocratique !
Les dissonances des positions de la communauté internationale sur les crises en Afrique finissent par la rendre inaudible et met à mal sa crédibilité sur le continent. Au mieux elles sont interprétées comme des signes d’hypocrisie sinon de duplicité. Ces interminables tangos de la communauté internationale amplifient frustrations, méfiances et cristallisent les rancœurs et les velléités revanchardes d’où la persistance des conflits.
Les dissonances des positions de la communauté internationale sur les crises en Afrique finissent par la rendre inaudible et met à mal sa crédibilité sur le continent
Les menaces, sanctions et embargo au gré des intérêts du moment des puissances n’atteignent pas toujours leurs objectifs et, bien souvent, les premières victimes sont les populations les plus vulnérables. En outre ces prises de position ambigües au plan global font le lit des populismes de tous bords, des anti multilatéralismes et des nationalismes nombrilistes, pendant que l’instabilité politique en Afrique alimente les flux migratoires.
Crédit photo : essahraa.net
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