Auteur : Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) avec la participation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)
Type de publication: Rapport
Date de publication: 2018
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La liberté d’expression La liberté d’expression a été « un peu malmenée au début du premier mandat d’Alpha Condé », mais elle s’est progressivement installée d’après le HCDH et les diplomates rencontrés. Depuis quelques mois, cependant, les journalistes notent une nouvelle vague de censure, à l’approche des élections communales prévues pour février 2018 et des prémices de la campagne présidentielle de 2020. Selon le directeur pays de l’ONG Aide et Action, la liberté d’expression progresse, malgré les arrestations des artistes Elie Kamano (rencontré par la mission) et Takana Zion, brièvement interpellés en juillet 2017, mis aux arrêts pendant quelques heures pour attroupement illégal avant d’être libérés et placés sous contrôle judiciaire. A l’heure de la rédaction de ce rapport, ils circulent et s’expriment librement.
Certains journalistes sont parfois interpellés lors de rassemblements. Des menaces verbales ou sur les réseaux sociaux ont été relevées, mais aucune arrestation n’a été signalée.7 Les tensions entre la presse et la Haute Autorité de la Communication (HAC) qui sanctionne régulièrement des journalistes ou suspend des émissions, sont récurrentes. La mission a pu observer un véritable rapport de force entre la presse et le pouvoir, notamment lors des manifestations, fréquentes en octobre et novembre 2017.
Le 7 novembre 2017, des journalistes ont effectué une marche dans la commune de Kaloum pour exprimer leur mécontentement face aux dernières décisions adoptées par la Haute autorité de la Communication (HAC) qui seraient, selon eux, un moyen de museler la liberté de la presse. Ce mouvement de protestation s’est fait notamment en réaction à la suspension de la radio privée Espace FM pendant une semaine, à la suite de la diffusion d’une émission débattant de l’état de l’armée guinéenne. La HAC avait jugé ces informations susceptibles « de porter atteinte à la sécurité de la Nation, au moral des forces armées et à l’ordre public ».
Selon des journalistes rencontrés à Conakry, cette marche était également une réaction à l’arrestation de M. Aboubacar Camara, directeur général du groupe RTV Gangan, à qui il était reproché d’avoir laissé diffuser sur l’une de ses radios la rumeur concernant le décès du Président Alpha Condé. Les diplomates ont confirmé cette fébrilité partagée par l’institution et les journalistes.
La liberté d’expression La liberté d’expression a été « un peu malmenée au début du premier mandat d’Alpha Condé », mais elle s’est progressivement installée d’après le HCDH et les diplomates rencontrés
D’après un blogueur et web activiste, fondateur de l’association des blogueurs guinéens (Ablogui), la presse libre est encore balbutiante en Guinée, elle est née dans les années 1990 à Conakry et en 2006 en province. Elle n’a pas les moyens de mener de véritables enquêtes (sans budget ni personnel). Le déficit de formation est criant. Les articles sont donc peu approfondis dans l’ensemble. Plusieurs journalistes ont expliqué souffrir du préjugé politique conféré à leur appartenance ethnique. En effet, les Peul sont très représentés dans la profession et ils sont systématiquement soupçonnés de collusion avec l’UFDG tandis qu’un journaliste malinké est a priori taxé de défenseur du pouvoir.
Ainsi, il est difficile pour certains journalistes peul d’écrire des articles critiques à l’égard de l’opposition sans risquer d’être isolés dans la profession et marginalisés par leur communauté. De même un journaliste malinké a expliqué avoir des difficultés à assumer ses positions critiques à l’égard du pouvoir actuel qui lui valaient régulièrement des quolibets de la part de ses collègues peul et la réprobation de sa communauté.
Selon les ONG rencontrées, le tribunal représente aux yeux des Guinéens un recours ultime pour les affaires d’une extrême gravité. C’est dans un esprit de consensus social que le pardon est d’abord recherché pour les conflits considérés comme mineurs et que les victimes s’orientent d’abord vers les instances traditionnelles
La population a peu confiance dans le système judiciaire guinéen, en raison de la corruption qui y prévaut, selon plusieurs interlocuteurs parmi les journalistes, la société civile, les diplomates et le HCDH. Selon des représentants de la société civile, en province, il est fréquent que des villageois se fassent justice eux-mêmes lors d’un flagrant délit de vol par exemple alors que les forces de l’ordre interviennent pour arrêter les coupables et les déférer au tribunal. Plusieurs détenus parviennent à obtenir leur libération avant la fin de leur peine.
La spécialiste de la protection de l’enfance à l’UNICEF illustre cet état de fait par l’attaque de la prison de Kouroussa, en Haute-Guinée, en 2015, par des habitants qui s’opposaient à la prochaine libération de quatre prisonniers. Ces derniers ont été extraits du centre de détention et assassinés par la population10 . Cette méfiance envers le système judiciaire est partagée par d’autres représentants de l’administration. Ainsi, les policiers du commissariat de Kindia ont signalé que des prévenus, arrêtés en flagrant délit et déférés devant la justice, avaient été remis en liberté par l’institution judiciaire. Certains venaient même narguer les agents qui les avaient arrêtés.
Selon les ONG rencontrées, le tribunal représente aux yeux des Guinéens un recours ultime pour les affaires d’une extrême gravité. C’est dans un esprit de consensus social que le pardon est d’abord recherché pour les conflits considérés comme mineurs et que les victimes s’orientent d’abord vers les instances traditionnelles. Les différents commissaires, rencontrés à Conakry et Boké, ont confirmé que les chefs de quartier représentent le premier échelon en cas de conflit. Ils appellent le commissariat en cas de problème qui les dépasse et des agents du commissariat sont alors dépêchés auprès du chef de quartier, sur le terrain.
C’est donc à titre secondaire que le commissariat est saisi d’une affaire. De même, les membres du conseil des sages de Boké ont affirmé mettre un point d’honneur à anticiper les conflits et les résoudre pour éviter tout recours à la justice car « la solution trouvée par la justice étatique est souvent radicale et ne prend pas en compte les relations familiales ». Le chef traditionnel préfère que les citoyens s’adressent au conseil, afin de préserver l’entente au sein des familles et de la communauté. Le conseil des sages de Boké revendique un taux de réussite de 90% des problèmes gérés dans la communauté.
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