Auteur : Mamadou Saidou DIALLO
Type de publication : Papier de recherche
Date de publication : Avril 2020
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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Introduction
En Guinée, l’enquête légère pour l’évaluation de la pauvreté (ELEP) réalisée par l’institut national de la statistique indique un taux de pauvreté de 55,2% contre 53% en 2007, et un chômage grandissant avec des situations sociales précaires comme en témoigne l’explosion de la migration. Sur une population de 11 253 183 habitants, la même enquête indique une population majoritairement féminine (52%), jeune (près de ¾ de la population a moins de 35 ans) et rurale (67,7%). Conjointement liée à la crise de l’emploi, selon la dernière enquête de l’Agence Guinéenne pour la Promotion de l’Emploi, le chômage est essentiellement urbain, où il est estimé à 10%. L’enquête révèle que les jeunes sont les plus touchés par le phénomène, une des préoccupations majeures des pouvoirs publics et de leurs partenaires internationaux techniques et financiers.
Parmi les principales causes des difficultés d’accès à l’emploi auxquelles sont exposés les jeunes, la plupart des études pointent les insuffisances des programmes de formation et leur inadéquation avec les besoins du marché de l’emploi. En Guinée, «le système de formation professionnel/apprentissage est le maillon faible du système éducatif guinéen». En bref, les méthodes d’enseignement sont jugées inadaptées à l’évolution économique et social du pays.
Fort de ces constats, la question centrale est de savoir comment favoriser l’insertion socio-professionnelle de ces populations au chômage, en particulier les jeunes? Ainsi, dans un environnement critique de tout genre, ces dernières années, pour apporter des réponses à ces enjeux sociaux, les décideurs politiques multiplient les encouragements et les actions dans le champ de l’entrepreneuriat, au regard de sa contribution en termes de création de richesse, d’emplois et de réduction de l’extrême pauvreté. Ce qui se traduit concrètement par des programmes et dispositifs d’accompagnement des porteurs de projet, les encourageant à prendre en main leur destin.
Malgré l’intérêt grandissant de l’Etat et de ses partenaires techniques et financiers dans le soutien à l’entrepreneuriat, et la multiplication des structures d’accompagnement, supports du développement privé local, les projets crées restent précaires, voire en situation d’échec. Dans ces conditions, ne peut-on pas imaginer que les pratiques d’accompagnement de ces «entrepreneurs contraints » (EC dans la suite du texte) aient besoin d’un nouveau souffle? Notre objectif est d’examiner les programmes d’accompagnement dans un tel environnement, afin de mieux comprendre les pratiques et, saisir les logiques d’actions alternatives permettant de lever les contraintes qui pèsent sur les porteurs de projet d’auto-emploi motivés par la nécessité.
Les pratiques d’accompagnement entrepreneurial en Guinée
En Guinée, l’industrie de l’accompagnement est essentiellement composée de deux intervenants principaux : les structures d’accompagnement, qui agissent particulièrement sur le capital humain (enseignement/apprentissage) et les acteurs financiers (organisations et agences de développement internationales, des opérateurs privés, etc.) qui agissent sur les insuffisances en matière de financement auxquelles sont exposés les projets crées. Ils multiplient les actions, à travers des programmes et opérations d’aides parmi lesquels nous pouvons notamment citer le projet INTEGRA –programme d’appui à l’intégration socio-économique des jeunes.
Malgré l’intérêt grandissant de l’Etat et de ses partenaires techniques et financiers dans le soutien à l’entrepreneuriat, et la multiplication des structures d’accompagnement, supports du développement privé local, les projets crées restent précaires, voire en situation d’échec
Lancé en 2018 sur une initiative conjointe du gouvernement guinéen et de l’Union Européenne, il a été mis en œuvre par l’agence de développement Belge (ENABEL), l’agence de coopération internationale allemande pour le développement (GIZ) et le centre du commerce international (CCI). Financé par le «Fonds fiduciaire d’urgence» de l’Union européenne à hauteur de 65 million d’euros, le projet s’étend sur une durée d’action de 5 ans et prévoit un accompagnement de plus de 15 000 jeunes sur vers l’emploi salarié ou indépendant, en faveur de la réduction des causes profondes de la migration irrégulière avec la participation de l’organisation internationale pour les migrations (OIM).
L’entrepreneuriat comme moyen d’insertion socio-professionnelle.
De nos jours, l’Etat, après avoir créé une culture de l’emploi fondée sur des concours d’entrée à la fonction publique, ne peut employer tout le monde et le secteur privé tarde à reprendre le flambeau. Face à la crise de l’emploi, pour les populations et les jeunes en particulier, l’entrepreneuriat apparaît comme une voie de survie. Dans les perspectives d’emploi des chômeurs urbains, l’enquête estime la préférence de l’auto-emploi chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans à 79% et à 83% chez ceux de 25 à 34 ans. Ces entrepreneurs qui s’engagent par nécessité, présentent des insuffisances et des particularités compte tenu de leur vécu, qui devraient être considérées par les acteurs en soutien pour mieux les accompagner.
L’inadéquation des dispositifs d’accompagnement avec les besoins des accompagnés
Les entrepreneurs par nécessité sont fragilisés par des périodes difficiles, notamment le chômage de longue durée. Nos résultats montrent que dans les processus entrepreneuriaux, les EC suivent tout un processus d’apprentissage leur demandant beaucoup de travail. IE«[…] ce ne sont pas des modules aussi isolés que nous faisons mais un ensemble de modules […]la gestion financière, la gestion des stocks et ainsi de suite, tout ça nous le faisons, comme aussi le calcul des coûts, l’élaboration de plans d’affaire[…]». Une standardisation des programmes d’accompagnement qui ne correspond pas aux profils des accompagnés. IE«[…]A la fin, certains abandonnent même, parce que créer une entreprise c’est contraignant». Les EC, sans avoir une véritable intention entrepreneuriale, ont besoin d’être suivi. L’isolement constitue une difficulté supplémentaire.
Face à la crise de l’emploi, pour les populations et les jeunes en particulier, l’entrepreneuriat apparaît comme une voie de survie
Les accompagnateurs devraient mieux connaitre leurs bénéficiaires et adapter l’accompagnement à leurs profils, leurs connaissances, leurs expériences et leur contexte environnemental afin de favoriser une co-production réussie. En plus de se sentir isolés et abandonnés dans le processus d’acquisition de connaissances, les EC déplorent le manque d’implication des autorités publiques et des institutions de microfinance.
Les incohérences dans les pratiques d’accompagnement
Les dispositifs d’accompagnement entrepreneuriales initiés par les structures en soutien s’appuient sur un modèle rationnel et prédictif. Or, dans ce milieu règne une forte incertitude. Il y a notamment une instabilité politique caractérisée par des mouvements socio-politiques, qui freinent le développement des projets créés et rendent difficiles les prédictions de l’avenir. L’accompagnement repose, dans la plupart des cas, sur les incontournables plans d’affaire et concours entrepreneuriaux, conditions sine qua non à l’obtention du «sésame» vers l’incubation et un probable appui financier.
Ces concours, généralement organisés par des multinationales en guise de soutien à l’esprit d’entreprise, peuvent exclure des jeunes chômeurs qui ont pourtant des idées pour entreprendre. Ils ne font pas l’unanimité chez les acteurs en soutien. Confrontés à des difficultés d’accès au financement, ces concours représentent une aubaine pour les EC. Mais ils sont vite rattrapés par la réalité des choses, car les fonds attribués ne concordent pas avec les prévisions des plans d’affaire établis lors des fameuses études de marché.
Des pratiques alternatives traditionnelles comme solutions aux différentes contraintes
Compte tenu des incohérences décrites précédemment, prédire l’avenir en élaborant un plan d’affaire est-il toujours nécessaire dans un tel environnement ? Par ailleurs, nos résultats ont montré comment ces EC utilisent leur créativité, les ressources autour d’eux et leurs réseaux sociaux tels que la famille et les amis pour réaliser des économies.
En milieu difficile, les parties prenantes peuvent s’avérer être un moyen efficace pour favoriser la pérennité du projet
Sur le plan social, nos résultats ont révélé la place prépondérante qu’occupe la communauté et les relations, notamment dans les périodes difficiles. Sur le plan de l’implication des parties prenantes l’enquête va plus loin. En milieu difficile, les parties prenantes peuvent s’avérer être un moyen efficace pour favoriser la pérennité du projet.
En ce qui concerne les difficultés d’accès au financement, EC_2 propose, « Par exemple s’ils (les acteurs financiers ndlr) doivent financer quatre ou dix personnes et que ce n’est pas possible, à ce moment qu’ils privilégient au moins deux personnes bénéficiaires ou bien d’associer les gens pour en faire un seul projet». Par ailleurs, la participation sociale de la communauté aux projets créés, renforce les relations entre les communautés, gage de légitimité pour les projets créés. Le caractère social de l’entrepreneuriat permet, en outre, d’agir sur la problématique du chômage.
Implications politiques
Comme nous l’avons souligné dans l’introduction de ce travail, les décideurs politiques(pouvoirs publics et organisations internationales) occupent une place stratégique dans la promotion de l’esprit d’entreprise et le développement économique et social local à travers l’accompagnement. Ils représentent, le plus souvent, la principale source de financement des programmes d’accompagnement. Bien qu’ils constituent un facteur important dans ce domaine, nous avons noté l’absence d’évaluation des programmes et dispositifs publiques et privées, mis en place par les différentes structures. Pourtant, cette variable est importante pour pouvoir déterminer la performance des programmes d’accompagnement et le degré d’atteinte des objectifs visés. Ainsi, nous suggérons la mise en place d’indicateurs de performance et d’intégrer des études d’impacts des programmes et processus d’appui des accompagnés sur la réussite de leurs projets et le développement économique local.
Implications managériales et environnementales
L’étude suggère plus de rencontres en dehors des ateliers de formations, plus de contacts sur le terrain auprès des accompagnés pour renforcer les relations humaines entre accompagnateurs et accompagnés. Ainsi, nous suggérons, d’une part, l’intégration d’une approche expérientielle des projets crées, qui favoriseront un apprentissage itératif basé sur l’action et le contrôle de l’environnement plutôt que sur la prédiction dans un environnement incertain et imprévisible. D’autre part, à l’image des usages dans l’entrepreneuriat guinéen, tel qu’il se fait, il serait plus opportun d’accompagner ces pratiques «traditionnelles» en capitalisant l’aspect social autour des projets en mobilisant les parties prenantes. Il peut s’agir de propriétaires terriens, d’institutions de microfinance, d’épargne public, des pouvoirs publics locaux, ou de grandes entreprises locales avec un appui technique et financier sur une durée donnée, etc.
Enfin sur le plan financier, il semble opportun, notamment dans la phase de démarrage, de développer une stratégie d’accompagnement basée sur les ressources disponibles. Autrement dit, démarrer le processus d’accompagnement avec un inventaire des moyens disponibles, comme le recommande la méthode de l’effectuation, plutôt que de tabler sur des prix obtenus à des concours inadaptés aux projets crées. Aussi, intégrer les structures financières dans le processus de création, notamment les IMF, à travers un partenariat public-privé pour mieux soutenir les projets crées. Ce qui permettrait d’agir sur les incohérences sur les processus de financement et apporter de la légitimité aux entreprises créées.
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