Virginia Mura
Après neuf ans d’opérations militaires au Mali, la France et l’Union européenne ont annoncé le retrait de leurs forces militaires du pays. Au regard de la situation humanitaire catastrophique au Mali et au Sahel, cette décision révèle l’inadaptation de l’approche militaire pour régler les causes profondes de la crise qui affecte les populations sahéliennes, qui demandent maintenant à être écoutées.
Il faut dire que les récents évènements au Burkina Faso et au Mali sont un signal d’alarme qui résonne dans la région tout entière. Des coups d’État militaires surviennent en cascade, faisant suite aux évènements des dernières années au Mali, au Tchad, en Guinée, et récemment des soubresauts en Guinée-Bissau. Ces prises de pouvoir par la force sont fortement soutenues par une partie non-négligeable de la population et, si le rejet de la démocratie n’est pas la solution, il est cependant le symptôme d’un malaise au sein de la société qui ne peut être ignoré.
Au niveau régional, au-delà des similitudes et des maux communs, les États et les populations du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest entretiennent des relations étroitement liées, si bien qu’une vague de revendications dans un pays trouve directement écho au sein des autres pays de la région.
Les revendications populaires dépassent les frontières et les idéaux politiques. Les populations cherchent à faire entendre un certain nombre de revendications qu’elles estiment n’avoir pas été traitées de façon adéquate par leurs gouvernements ces dernières années :
- L’accès à des services sociaux de base et de qualité : éducation, santé, protection sociale. Autant de droits qui sont loin d’être une réalité pour des pans entiers des populations du Sahel. Au Mali, les femmes de milieux aisés ont 15 fois plus de chances de recevoir une éducation secondaire par rapport aux femmes provenant de situations de pauvreté ; on estime qu’à peine 2 à 3% des enfants de pasteurs nomades dans le pays sont scolarisés. Notre récent Indice d’engagement pour la réduction des inégalités (IERI) en Afrique de l’Ouest démontre que les gouvernements de la région sont les moins engagés dans la lutte contre les inégalités en comparaison avec leurs homologues d’autres régions africaines. Ceci alors que la pandémie de COVID-19 exacerbe des inégalités déjà importantes et qu’une vague d’austérité s’installe en Afrique de l’Ouest sous pression du Fonds monétaire international (FMI) : dans les cinq prochaines années, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal prévoient de couper près de 9 milliards de dollars dans leurs dépenses publiques. Réduisant encore un peu plus leur capacité à investir dans des politiques sociales pourtant fondamentales pour répondre aux causes profondes des crises de la région.
Ces prises de pouvoir par la force sont fortement soutenues par une partie non-négligeable de la population et, si le rejet de la démocratie n’est pas la solution, il est cependant le symptôme d’un malaise au sein de la société qui ne peut être ignoré
- La sécurité et la stabilité : les États sahéliens – et les pays de la communauté internationale qui les appuient depuis bientôt 10 ans – ont été incapables de protéger leurs populations face à l’insécurité omniprésente. Les civils se retrouvent bloqués entre l’essor des groupes armés non étatiques, la violence intercommunautaire, les opérations militaires et des stratégies de stabilisation inconcluantes. Ceci les force à fuir pour leur survie. Aujourd’hui, plus de 5,8 millions de personnes sont déplacées au Sahel, dont 1,6 million seulement au Burkina Faso.
- Une assistance humanitaire qui couvre les besoins urgents : au cours de l’année 2021, les besoins humanitaires se sont accrus de manière exponentielle. Aujourd’hui 14,7 millions de personnes dans le Sahel central ont besoin d’une assistance d’urgence. Au Niger, en deux ans seulement entre 2019 et 2021, le nombre de personnes en situation de besoin a augmenté de 65%. Au Mali, la situation d’insécurité alimentaire s’annonce désastreuse, avec plus de 1,2 million de personnes qui pourraient plonger dans la faim d’ici l’été prochain. Ceci représente 5% de la population malienne en situation d’insécurité alimentaire, le double qu’en 2019. Les récentes sanctions de la CEDEAO contre le pays pourraient empirer la situation, en empêchant l’accès à l’aide humanitaire à ces personnes. Malgré des efforts considérables, les acteurs humanitaires aussi bien locaux, nationaux, qu’internationaux sont limités par le manque de financement. Effectivement, en 2021 seulement 41% des fonds nécessaires pour répondre aux besoins de base des populations du Sahel central ont été mobilisés. Ceci est le pourcentage le plus bas depuis 2015, alors que la situation ne cesse de se détériorer.
- À être écoutés et entendus : Les sociétés civiles sahéliennes font preuve de dynamisme et d’innovation qui n’attendent qu’à être écoutées, mais demeurent pourtant largement exclues des cercles de pouvoir et de décisions, voire même sont régulièrement la cible de tentatives de répression et d’intimidation. Cette marginalisation ne fait qu’exacerber les frustrations et animosités existantes, notamment au sein d’une jeunesse qui représente 75% de la population de l’Afrique de l’Ouest (personnes de moins de 24 ans). Le rôle d’une société civile jeune, dynamique et inclusive est fondamental pour recréer la confiance nécessaire à la reconstruction d’un contrat social actuellement brisé entre les populations et les autorités. En Afrique de l’Ouest, ces sociétés civiles militent pour davantage de transparence pour une gouvernance plus vertueuse. Les jeunes femmes et hommes constituent des acteurs clés pour la recherche de nouvelles solutions. Des initiatives locales et communautaires émergent sur de nombreux plans et représentent une force de proposition vers de nouveaux modèles, notamment dans le cadre de solutions de paix inclusive et durable, l’atteinte des objectifs de développement durable, et pour faire face au changement climatique.
Au Mali, la situation d’insécurité alimentaire s’annonce désastreuse, avec plus de 1,2 million de personnes qui pourraient plonger dans la faim d’ici l’été prochain
Le Sahel traverse depuis près de 10 ans une crise multi-dimensionnelle dont les premiers affectés sont les populations civiles, qui payent le prix des violences, du déplacement, et des faiblesses de gouvernance de leurs États. De surcroît, ce sont elles qui sont premières touchées par les sanctions qui peuvent être imposées à leurs gouvernements pour ces mêmes lacunes dont elles pâtissent.
Les sanctions adoptées par la CEDEAO envers le Mali, le 9 janvier 2022, incluent la fermeture des frontières et la suspension des transactions commerciales, ce qui pose un risque d’impact alimentaire d’envergure dans un pays dépendant à 70% des importations pour sa consommation alimentaire. Effectivement, le Mali qui faisait déjà face à la pire crise alimentaire depuis plus de 10 ans, risque d’affronter une forte dégradation additionnelle sur les six mois à venir.
Poussées à bout, l’unique outil des populations sahéliennes est leur voix et leur détermination, qu’elles utilisent pour exprimer leurs griefs. Il est urgent que les responsables politiques de la région – et la communauté internationale qui s’implique depuis des années dans les crises du Sahel – ne détournent plus le regard sur cette réalité mais prennent la mesure de l’urgence sociale et démocratique qui s’exprime de toute part et s’attellent à promouvoir des agendas politiques en faveur du bien-être de leurs populations.
Crédit photo : Dw.com
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