Les entretiens de WATHI – Les régions de la Guinée – Série Covid-19 – Focus Conakry
Issaka Souaré
Issaka Souaré est un fonctionnaire international, il est également enseignant à l’université de Sonfonia de Conakry.
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Extraits
*Cet entretien a été réalisé le 02 juin 2020 à Conakry.
Quelle est la situation sanitaire relative au Covid-19 en Guinée?
D’après les chiffres officiels de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS), au jour du 3 juin 2020, la Guinée comptait près de 4000 cas de contamination depuis le début de la pandémie, près de la moitié de ces personnes est sortie guérie, près de 200 cas seraient en situation grave, et 600 autres seraient toujours hospitalisés.*Au 17 juillet 2020, la Guinée dénombre 6.276 cas de contamination et 38 décès.
L’impact de la pandémie est bien visible, notamment à travers la fermeture des écoles, des lieux de culte auxquels les gens sont très attachés. Le faible développement des technologies de la communication affecte particulièrement les étudiants. Sans oublier qu’avec les mesures de distanciation sociale, la mobilité des personnes est affectée.
Comment jugez-vous le respect et l’efficacité des mesures prises pour lutter contre la pandémie?
On constate qu’il y a le respect de certaines mesures symboliques comme le port des masques – même si la façon et la régularité de leur port fait défaut. Certains les trouvent suffocants et d’autres les portent bien plus par peur d’être verbalisés que par mesure de sécurité pour eux-mêmes et leurs proches. Il y a aussi d’autres problèmes qui concernent les forces de l’ordre, qui parfois ne veillent pas convenablement au respect des mesures. C’est le cas du couvre-feu, à travers lequel des policiers bloquent parfois des véhicules mais pas les passagers, alors que ce sont les personnes qui propagent la maladie et non les véhicules.
Les dépistages en masse et surtout la rapidité dans la mise à disposition des résultats pourraient empêcher certaines situations où des personnes dépistées sont obligées d’attendre plusieurs jours (parfois deux semaines) avant d’obtenir leurs résultats. Ce type de mesures et d’autres préconisées ailleurs, pourraient contribuer à mieux faire face à la pandémie.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise sanitaire pour la Guinée et de manière générale quelles recommandations préconisez-vous pour sortir de la crise?
Des leçons de plusieurs ordres peuvent être tirées dont deux particulièrement : l’aspect infrastructurel et l’aspect économique. La Covid-19 est à la fois une crise sanitaire et une crise économique. Les pays les plus avancés sont durement affectés. La question de l’après Covid-19 se pose.
Certains proposent déjà l’annulation des dettes et d’autres parlent de moratoire sur le remboursement des dettes. Mais sur le fond, il faut voir la structure de nos économies qui sont en réalité trop dépendantes de celles des pays avancés. Ceux qui parlent d’annulation de dettes ou de Plan Marshall pour l’Afrique oublient que si le Plan Marshall a été possible pour l’Europe, c’est parce que les États Unis d’Amérique n’avaient pas été vraiment affectés par la guerre. Or cette guerre contre la Covid-19 affecte tous les pays du monde et les créanciers de nos États sont doublement affectés. Les industries et les citoyens de ces pays qui font tourner l’économie sont essentiellement à l’arrêt.
Dans ces conditions, non seulement les États ne tirent pas profits des industries mais aussi et surtout, ils doivent les subventionner pour les relancer afin d’éviter la faillite. De même, les citoyens doivent être assistés pour leur survie. C’est de ces États que les nôtres attendent de l’aide. Et quand bien même certains auraient des liquidités pour nous soutenir, il serait difficile de le justifier cette aide auprès de leurs citoyens, notamment les mouvements d’extrême-droite.
Nous devrions nous tourner beaucoup plus vers nous-mêmes, nos ressources propres, en rationalisant les dépenses d’État, assurer la bonne gouvernance, capitaliser les mesures de riposte pour faire des économies et augmenter le rendement (télétravail, réduction des missions inutiles, informatisation des administrations publiques, etc.) de nos institutions.
Sur les infrastructures sanitaires, il faut rappeler qu’en temps normal nos dirigeants se soignent à l’étranger. Actuellement, il n’y a pas d’évacuation, les hôpitaux sont partout saturés. De plus, il n’y a pas de garantie qu’il n’y aura pas d’autres vagues du Covid-19. Il faut donc que nos États essaient d’avoir des infrastructures sanitaires sérieuses, ne serait-ce qu’un hôpital digne de ce nom où tout le monde peut se soigner, même le chef de l’État.
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