Auteur : Moussa SOUMAHORO
Organisation affiliée : Institut pour les études de paix et de sécurité, IPPS
Type de publication : Rapport
Date de publication : Mai 2022
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Les facteurs de risques en République de Guinée
Un chronogramme tardif et « déraisonnable »
Le 26 septembre 2021 ; une Charte de la Transition a été adoptée, tenant lieu de constitution provisoire jusqu’aux prochaines élections. Elle est conséquente aux consultations des couches de la société guinéenne (représentants des partis politiques, des organisations de la société civile, des confessions religieuses, des coordinations régionales, des organisations de femmes et de jeunes, des guinéens de l’étranger, des centrales et fédérations syndicales, du secteur informel, des organisations patronales, des organisations et ordres socioprofessionnels, des missions diplomatiques et organisations internationales, de chambres consulaires, des organismes de presse, des sociétés minières) tenues du 14 au 23 septembre 2021 à Conakry.
En tant que document clé, le chronogramme constitue la pierre angulaire de la mise en œuvre des dispositions de la Charte de la Transition. Une attente plus longue pourrait, en effet, susciter des doutes quant à la volonté du CNRD à rendre le pouvoir à un gouvernement civil dûment élu, tant au niveau de la population guinéenne, du FNDC notamment, que de la communauté internationale ; la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) qui appellent à un retour incessant à l’ordre constitutionnel.
Éventuellement, les doutes suscités pourraient entrainer des appels à manifestations par le FNDC à travers la République de Guinée, ayant exprimé son désir pour une courte transition, et davantage de pression venant de la CEDEAO et de l’UA.
Poursuites accrues contre les dirigeants déchus
Le CNRD, depuis sa prise de pouvoir, a initié une série d’opérations « mains propres » visant à investiguer sur l’existence d’éventuelles malversations dans la gestion des membres du gouvernement déchu.17 Cette initiative se traduit par la conduite d’audits débouchant généralement sur la récupération de biens immobiliers d’une part et des saisies des avoirs de certains membres de la précédente administration18 et de l’opposition politique d’autre part.
Une gestion approximative des défis sécuritaires
Les défis sécuritaires actuels en Guinée concernent notamment ceux liés au crime organisé, à la circulation croissante des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC) illicites à l’intérieur et à travers les frontières de la Guinée, au banditisme résiduel et aux conflits communautaires résultant de l’orpaillage artisanal22 et de la transhumance animale.
La détention illicite d’armes pourrait engendrer une aggravation du banditisme résiduel se manifestant par des attaques à mains armées récurrentes et exacerber par la même occasion les conflits communautaires existant entre agriculteurs et éleveurs en raison de la transhumance animale dans certaines régions du pays d’une part et des tensions liées à l’orpaillage artisanal d’autre part
La disponibilité des armes, en partie engendrée par le trafic transfrontalier et par la production locale, constitue concurremment au crime organisé un défi sécuritaire important en ce sens que la possession d’armes par des acteurs non autorisés comporte de nombreux risques.
La détention illicite d’armes pourrait engendrer une aggravation du banditisme résiduel se manifestant par des attaques à mains armées récurrentes et exacerber par la même occasion les conflits communautaires existant entre agriculteurs et éleveurs en raison de la transhumance animale dans certaines régions du pays d’une part et des tensions liées à l’orpaillage artisanal d’autre part.
Les acteurs en présence
Les organes de la transition
Les organes de la transition sont régis par le titre II de la Charte de la transition. Ils comprennent exhaustivement le CNRD, le Président de la transition, le Gouvernement de la transition et le Conseil National de Transition (CNT).
Il est précisé à l’article 37 de la Charte que « le Comité National du Rassemblement pour le Développement est l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays ». Composé « des éléments des forces de défense et de sécurité de la République de Guinée (armée, gendarmerie, police, protection civile, douanes et conservateurs de la nature) » le CNRD est également « le garant de la sécurité et de la cohésion nationales, de la stabilité et de la paix » à la lecture de l’article 37 précité.
Si la charte organise minutieusement les maillons principaux du système de la transition en République de Guinée, il apparait intrigant de constater une concentration des pouvoirs aux mains du Président de la Transition et du CNRD. De même, les critères opaques de nomination des membres du CNT et son manque de représentativité sociopolitique et culturelle laissent nombre d’observateurs perplexes.32 Ainsi de nombreux doutes sont-ils suscités quant à la volonté du CNRD de privilégier la transparence et l’équité dans la conduite de la transition, notamment parmi les partis politiques, les organisations de la société civile et les différentes couches sociales en Guinée.
Le collectif des partis politiques
Le CPP est un collectif piloté par l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG), parti (social-libéral) du principal opposant Cellou Dalein Diallo. Créé le 4 janvier 2022, Il regroupe une centaine de partis politiques liés par la volonté de participer activement à la bonne marche de la phase transitoire en Guinée.35 L’objectif immédiat pour le CPP est de présenter une position commune au CNRD sur le calendrier d’un retour des civils à la tête des institutions suprêmes de l’État.
Il est précisé à l’article 37 de la Charte que « le Comité National du Rassemblement pour le Développement est l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays ». Composé « des éléments des forces de défense et de sécurité de la République de Guinée (armée, gendarmerie, police, protection civile, douanes et conservateurs de la nature) » le CNRD est également « le garant de la sécurité et de la cohésion nationales, de la stabilité et de la paix » à la lecture de l’article 37 précité
En clair, le CPP souhaite que la période transitoire du CNRD à la tête de la République de Guinée soit aussi courte que possible. Cette initiative semble cependant relever d’une gageure dans la mesure où certains membres de la coalition soulignent la réticence de la junte à engager un dialogue ouvert avec les partis politiques.37 Le CPP lui-même semble fragile au regard de la multitude de micropartis, aux motivations circonstancielles, qui le compose et que l’UFDG parait mettre à contribution pour servir ses ambitions d’accession au pouvoir.
La société civile guinéenne
La société civile guinéenne recèle diverses organisations œuvrant dans des secteurs variés de la vie sociopolitique. Toutefois, au regard des développements récents, la Plateforme nationale des Citoyens Unis pour le Développement (PCUD) et le Front national de Défense de la Constitution (FNDC) montrent une certaine prééminence dans les prises d’initiatives liées à la bonne conduite de la transition politique.
La PCUD et le FNDC réclament aujourd’hui plus de transparence et de célérité dans la gestion de la transition. Ces deux organisations militent ouvertement pour une transition transparente et brève. Au regard de leur caractère hybride (le FNDC en particulier) et de leur représentativité sociopolitique, le FNDC et la PCUD constituent d’importants contrepoids au CNRD dans la mesure où leurs capacités de mobilisation au sein des populations restent vives.
Analyse des dynamiques conflictuelles en République de Guinée
La prise de pouvoir par le CNRD en septembre 2021 a été perçue comme le dénouement du malaise sociopolitique occasionné par le troisième mandat controversé du Président Alpha Condé. Le malaise sociopolitique en République de Guinée s’est caractérisé par diverses frondes sociales, notamment des grèves de syndicats de fonctionnaires (instituteurs et infirmiers entre autres) et des manifestations violemment réprimées par le gouvernement.
Les détentions et poursuites, au mépris des procédures judiciaires, à l’encontre de certains membres importants des partis politiques d’opposition et du RPG déchu, renforcent des sentiments de « chasse aux sorcières » parmi leurs partisans.
Si l’avènement du CNRD a permis de réduire l’hémorragie dans les finances publiques de la Guinée, selon certains experts, ses actions menées parfois de manière opaque et dans une certaine mesure, son mépris pour les procédures judiciaires consacrées, pourraient renforcer les opinions de gouvernance autoritaire à son encontre. Ainsi, les présentes tensions avec certains acteurs clés seraient exacerbées au risque de basculer dans la violence sociale.
La gestion des deniers publics constitue un point nodal dans la conduite des affaires publiques en République de Guinée.
Évaluation des réponses apportées par les acteurs internationaux à la crise guinéenne
La CEDEAO et l’Union Africaine
À la suite immédiate du coup de force du CNRD, la CEDEAO et l’Union Africaine ont toutes deux condamné l’acte anticonstitutionnel perpétré. La CEDEAO a appelé au respect de l’intégrité physique du Président Condé (renversé et arrêté le 5 septembre 2021) et exigé une courte transition de six mois.65 Si l’Union africaine, par les voix de ses Présidents en exercice et de la Commission, avait réuni d’urgence son Conseil de Paix et de Sécurité en vue de prendre les mesures idoines66, la CEDEAO semble avoir pris le leadership dans le dossier guinéen.
Le principe de subsidiarité, institué par l’architecture africaine de paix et de sécurité, donnant la primauté aux institutions régionales dans la gestion des crises ayant cours dans leurs États membres, explique sans doute sa prépondérance.
L’Organisation des Nations Unies (ONU)
Les actions des Nations unies restent donc concertées, voire imbriquées dans celles de la CEDEAO en tant qu’organisation leader chargée de la résolution des crises dans la région ouest africaine. Ainsi ses actions paraissent elles, à l’instar de celles de la CEDEAO, présenter des effets on ne peut plus limitées au regard des circonstances actuelles.
Principaux scénarios
Le plus pessimiste
La lenteur du processus de retour à l’ordre constitutionnel, le flou entretenu autour des membres du CNRD, les poursuites et détentions au mépris des procédures judiciaires et la détérioration grandissante du pouvoir d’achat face à l’inflation pourraient exaspérer la société civile, la classe politique, voire la population dans sa majeure partie. Des manifestations populaires, généralisées et violemment réprimées, conduiraient à la déliquescence des organes de transition et plongeraient la République de Guinée dans une crise multidimensionnelle (sociopolitique et économique) de longue durée.
Le plus probable
Dans ce cas de figure, deux postures pourraient se dégager. Premièrement, le CNRD de connivence avec les autres organes de la transition, prolongerait davantage l’élaboration et la publication du chronogramme de la transition, fortement espérées par la communauté internationale (CEDEAO, UA et ONU entre autres), les organisations de la société civile guinéenne, les partis politiques et la population dans sa large majorité. Deuxièmement, un chronogramme pourrait être adopté dans les prochaines semaines, en déphasage avec les exigences de la CEDEAO et de l’Union africaine réclamant une courte transition.
Le plus optimiste
Le CNRD en accord avec les autres organes de la transition et les acteurs clés représentatifs de la société guinéenne, émettrait un chronogramme en adéquation avec les exigences de la CEDEAO.
Un processus participatif, inclusif et transparent élargi à l’entièreté des partis politiques, des organisations de la société civile et acteurs locaux serait privilégié par le CNRD et les organes de la transition afin de faciliter un retour durable à l’ordre constitutionnel. Une communication claire sur les audits et les poursuites subséquentes en l’encontre des dignitaires de l’ancien régime et de l’opposition serait émise afin de réduire considérablement les suspicions de « chasse aux sorcières » qui grandissent au sein d’une frange de la population.
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