Guinée : l’impossible transition démocratique, Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Mars 2020

Guinée : l’impossible transition démocratique, Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Mars 2020

Auteur : Amadou Sadjo Barry 

Site de publication :  Dandurand.uqam.ca

Type de publication : Article 

Date de publication : Mars 2020  

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Le projet du président Alpha Condé de réviser la Constitution paralyse depuis des mois la société guinéenne. Au-delà des questions liées aux motifs et aux finalités de cette révision constitutionnelle, il est nécessaire d’analyser et comprendre la nature de la gouvernance politique en Guinée. Cette volonté de doter le pays d’une nouvelle constitution révèle une constante du système politique, à savoir l’incapacité des institutions à garantir une organisation démocratique du pouvoir. La crise actuelle exige donc de comprendre pourquoi, trente ans après les réformes constitutionnelles de 1990 qui visaient à démocratiser la société, le pouvoir politique continue d’échapper aux différents mécanismes de contrôle et de surveillance.

La pratique des amendements constitutionnels, généralisée depuis 1990, permet de constater que l’ouverture au pluralisme politique n’a pas rendu effectif le principe d’alternance au pouvoir. La consécration du multipartisme, censé démocratiser l’espace politique, n’a pas affranchi les modalités de la gouvernance de l’autoritarisme et des représentations néo-patrimoniales du pouvoir. Du régime militaire de Lansana Conté au gouvernement civil d’Alpha Condé, l’analyse des pratiques politiques révèle que les exigences de la démocratisation ont pu être formulées en même temps que se réactivaient les pratiques infra-institutionnelles du pouvoir. 

Changer pour que rien ne change

L’esprit qui animait la réorganisation multipartite de la vie politique guinéenne après la mort de Sékou Touré était d’opérer une transition vers une société démocratique. Pourtant, les dispositifs destinés à accomplir cette transition portaient en germe un ensemble de problèmes. Certes, au niveau formel, la consécration du multipartisme par la Loi fondamentale de 1990 a eu pour effet d’officialiser des partis politiques opposés au régime militaire de Conté, donc de rendre possible l’existence publique de mécanismes de contestation du pouvoir. 

De même, l’ouverture au multipartisme a permis un élargissement des opinions politiques qui autorise aux individus de s’identifier aux courants politiques conformes à leurs aspirations. Ainsi s’amorçait une nouvelle dynamique de la socialisation politique qui n’avait rien avoir avec l’embrigadement idéologique et la contrainte du Parti-État qu’imposait, en fait et en droit, le régime de Sékou Touré. Certains ont exprimé des réserves à l’endroit du multipartisme guinéen4, mais on ne peut manquer de voir que la société guinéenne de 1990 a rompu effectivement avec la logique unitaire de l’organisation politique. La Guinée est devenue une société plurielle.

Deux facteurs ont entravé le processus de sortie de l’autoritarisme en Guinée : l’influence majeure du corps militaire sur la sphère politique (le prétorianisme) et une conception néo-patrimoniale de l’activité politique qui a eu pour effet de diffuser les pratiques arbitraires au sein même des mouvances de l’opposition, donc hors de l’exécutif.

Transition prétorienne : l’armée comme source de légitimité

Le concept prétorien renvoie à la possibilité pour l’armée de se constituer comme une force politique indépendante qui influence et contrôle l’exercice du pouvoir. Il réfère à des situations où l’armée, en recourant à la force ou en menaçant de le faire, investit directement l’activité politique. Or justement, le corps militaire guinéen a influencé toutes les transitions politiques en Guinée d’une manière qui lui a permis de renforcer son contrôle arbitraire de l’espace politique. Ainsi, les dispositifs mis en place par l’armée pour assurer les transitions politiques, en 1990 et en 2010, furent de nature à favoriser l’émergence d’un État dont l’autorité s’identifiera à l’autorité des militaires. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur la légitimité à la fois du processus transitionnel et sur les futurs gouvernements qui en découleront. 

Le même déficit de légitimité affectera la transition de 2010 qui culminera dans les Accords de Ouagadougou et l’adoption d’une nouvelle constitution. Ce sont les responsables de la junte militaire (Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté) qui ont signé un accord de sortie de crise sous l’égide de l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré. Si la nature du conflit pouvait justifier une telle démarche, il n’en demeure pas moins que les solutions proposées (entre autres l’adoption d’une nouvelle constitution et la nomination d’un premier ministre civil) évacuaient les problèmes liés à la politisation de l’armée et à l’incapacité des institutions à organiser de façon autonome l’exercice du pouvoir politique. 

La conception du pouvoir et la pratique de l’opposition

Si les élites politiques guinéennes ont contribué à la survie des pratiques autoritaires, cela tient aussi à la fonction de l’opposition et à la manière dont s’exerce le pouvoir au sein des partis politiques eux-mêmes. L’observation du comportement des opposants, de 1984 à nos jours, permet en effet de saisir que l’opposition concentre l’essentiel de ses efforts dans la lutte acharnée pour la conquête et le contrôle du pouvoir politique. Ainsi, l’opposant se définit par la seule aspiration d’être à son tour chef de l’exécutif. 

Cette logique de l’opposition a non seulement mis en marge de l’action politique un des rôles majeurs qui consiste à surveiller et rendre imputable le gouvernement, mais surtout elle a généré une attitude d’indifférence à l’égard des problématiques qui relèvent de l’intérêt général : l’éducation, la santé, le logement, la famille ou la sécurité. Ainsi, le multipartisme, loin d’avoir favorisé une pratique du politique sensible au bien commun, a ouvert la voie à une modalité de la compétition politique antinomique à l’émancipation d’institutions démocratiques, celle qui fait du contrôle des appareils de l’État le seul enjeu de la lutte politique. 

La compétition politique en Guinée, qui oppose des personnes et non des programmes politiques, fluidifie l’espace politique d’une manière à permettre un va-et-vient, une circulation, un flux d’échanges, entre l’opposition et les réseaux du gouvernement. Parce que l’exercice du pouvoir est la finalité ultime de l’action politique, l’opposant peut, lorsqu’il n’arrive pas dans le cadre des mouvances de l’opposition à parvenir à cette finalité, ne ménager aucun effort pour se rapprocher du gouvernement en exercice afin de ne pas être exclu des privilèges auxquels donne droit l’appartenance au cercle du pouvoir.

 

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