Auteur : Abdoulaye Wotem Somparé
Organisation Affilé : Université Kofi Annan et Université Sonfonya, Conakry, Guinée)
Type de Publication : Article académique
Date de publication: 2017
Lien vers le document original: erudit.org
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La Guinée possède un système de santé de type pyramidal. Dans la capitale guinéenne, composée de cinq communes urbaines, la base est constituée par les centres de santé qui dispensent des soins primaires, tels que les soins ambulatoires, les accouchements, le suivi prénatal et la vaccination (Doumbouya, 2008). Au niveau intermédiaire, chaque commune dispose d’un CMC (centre médical communal) dans lequel on trouve plusieurs spécialistes, dont au moins un chirurgien, un gynécologue et un pédiatre.
Le sommet de la pyramide, situé à Conakry, est organisé autour des deux Centres hospitaliers universitaires (CHU) du pays et d’un récent centre hospitalier sino-guinéen. Leur capacité d’accueil, ainsi que la présence de médecins renommés, font de ces établissements les centres d’excellence du système sanitaire guinéen. Toutes les spécialités médicales y sont représentées et certaines, comme la psychiatrie, n’existent qu’à Conakry.
Si en milieu rural les populations sont très impliquées dans la construction et l’entretien des structures sanitaires de base, comme le préconisent les politiques de décentralisation appliquées dès 1987, les habitants de la capitale ont, quant à eux, un rapport plus distant aux établissements de soins. En fait, ils ne vont pas se soigner en fonction du découpage administratif qui les rattache, théoriquement, à tel centre de santé plutôt qu’à tel autre. Comme le soulignent Jaffré et de Sardan (2003: 59), les itinéraires thérapeutiques des patients ne se construisent pas selon les politiques de sectorisation, mais selon d’autres logiques sociales.
Ce sont, par exemple, souvent les réseaux d’interconnaissance qui conduisent certains patients à fréquenter un centre de santé plutôt qu’un autre. Dans d’autres cas, et en particulier à Conakry, ce sont les moyens financiers dont disposent les patients les plus aisés qui les orientent vers les cliniques privées alors que pour d’autres populations, ce sont les appartenances sociales et communautaires qui s’avèrent décisives. Ainsi, dans un contexte d’inégalités sociales croissantes et de radicalisation des identités ethniques, les itinéraires thérapeutiques des individus semblent bien plus dépendre de logiques d’affiliation à des groupes que d’un ancrage territorial au sein d’une commune urbaine.
De plus, le manque criant d’infrastructures sanitaires publiques dans une situation de forte croissance démographique a favorisé la multiplication de cliniques privées, dont les niveaux de soins sont très hétérogènes et souvent mal connus et mal contrôlés par les autorités communales et par le ministère de la Santé. L’essor de ces cliniques, bien que préconisé par les politiques et programmes internationaux d’ajustement structurel, est vecteur d’inégalités dans l’accès aux services de santé.
Dans d’autres cas, et en particulier à Conakry, ce sont les moyens financiers dont disposent les patients les plus aisés qui les orientent vers les cliniques privées alors que pour d’autres populations, ce sont les appartenances sociales et communautaires qui s’avèrent décisives
Dans la capitale guinéenne, le fonctionnement et les dysfonctionnements du système de santé, ainsi que le décalage permanent entre l’organisation institutionnelle formelle des soins et les pratiques de terrain, engendrent des stratégies spécifiques des personnels soignants et des usagers, contribuant ainsi à la constitution d’un champ sanitaire. Dans cet espace, les actions de chacun pour préserver et améliorer sa position, tout en défendant ses intérêts, se répercutent sur les conduites des autres. On ne peut pas comprendre les choix thérapeutiques d’un patient sans prendre en compte sa position dans une structure également composée par les membres du personnel soignant, les entrepreneurs propriétaires des cliniques privées, les représentants du ministère de la Santé et par d’autres institutions intervenant dans le domaine sanitaire.
À l’intérieur de cet espace complexe, l’étude des interactions entre les soignants et les soignés, qui s’inspire des travaux de Jean-Pierre Olivier de Sardan et de son équipe, s’avère particulièrement heuristique pour comprendre comment les différents acteurs déploient leurs stratégies et cherchent à atteindre leurs objectifs. Comme dans de nombreux pays, les stratégies empruntées par les patients et leur famille pour accéder aux soins varient en fonction de leur revenu, de leur niveau d’étude et de leurs croyances. Mais une des caractéristiques guinéennes, que l’on rencontre également dans des pays voisins (Badji et Desclaux, 2015) est la pratique courante de l’automédication qui est utilisée par tous les patients en milieu rural comme urbain.
Il est donc courant d’entendre des phrases telles que : «J’ai été à l’hôpital, j’ai essayé le médicament des Blancs, ça n’a pas marché, je tente maintenant le médicament des Noirs»
En effet, les maladies bénignes ou ne nécessitant pas d’autres soins que ceux dispensés par les centres de santé sont souvent traitées en prenant principalement en compte les conseils des marchands de médicaments qui concurrencent directement les pharmacies. L’automédication est alors une alternative pour réduire les coûts, mais aussi pour surmonter la «peur de l’ordonnance» qui hante beaucoup de ménages pauvres, car les prescriptions médicales sont souvent approximatives ou mal comprises par les pharmaciens, ce qui peut conduire à l’achat de nombreux médicaments. Le recours aux guérisseurs est également très fréquent, puisque les croyances traditionnelles, encore partagées par une importante partie de la population, imputent les causes des maladies à des éléments magico-religieux ou à la sorcellerie.
De plus, dans le savoir populaire, il existe une classification des maladies qui voudrait que certaines d’entre elles puent être traitées à l’hôpital, alors que d’autres rendraient le recours à la médecine traditionnelle inévitable, par exemple: les maladies mentales, les hémorroïdes, certains types de fibromes, etc. Dans beaucoup de cas, les patients — 197 naviguent entre la médecine traditionnelle et moderne, en réalisant un véritable «syncrétisme thérapeutique» .
Il est donc courant d’entendre des phrases telles que : «J’ai été à l’hôpital, j’ai essayé le médicament des Blancs, ça n’a pas marché, je tente maintenant le médicament des Noirs». Mais, ce qui nous intéresse dans le cadre de cet article, n’est pas tant de caractériser les stratégies thérapeutiques en dehors des structures sanitaires publiques ou privées, que de souligner la difficulté, pour les autorités sanitaires, de connaître et d’encadrer les activités en lien avec la santé des individus. Ainsi, dans toutes les communes de Conakry, les mairies ont essayé de procéder à un recensement des guérisseurs, afin d’officialiser leur existence et d’encadrer leurs activités, mais plusieurs d’entre eux ne se sont jamais présentés aux autorités municipales.
En cas de maladie, le choix d’un hôpital ou d’une clinique varie en fonction du statut socioéconomique des patients. Même si l’on ne peut pas rigoureusement parler de classes sociales dans la société guinéenne, il existe néanmoins des strates sociales entre lesquelles persistent de fortes différences en termes de conditions de travail, de vie et de revenu .Les grands négociants et les commerçants fortunés ainsi que les hauts-fonctionnaires ayant accès aux ressources de l’État, constituent une élite économique et sociale qui a pris l’habitude de soigner ses maladies graves à l’étranger, par exemple au Sénégal ou au Maroc, ou, pour les cas les plus graves, en Europe.
La fréquentation de certaines cliniques haut de gamme, modernes et luxueuses, constitue également une pratique distinctive. D’autres cliniques, moins élitistes, mais jouant d’une bonne réputation, de locaux propres et d’équipements modernes, attirent, quant à elles, une classe moyenne naissante, composée par des salariés locaux d’institutions internationales, des employés de banque ou des rares entreprises privées qui «abonnent» leurs personnels à des structures conventionnées.
En revanche, les plus pauvres, pour lesquels l’ordonnance est un drame (Jaffré et de Sardan, 2003), n’ont pas d’autres choix que de se tourner vers les centres de santé les plus proches, les cliniques les moins chères et surtout les lieux où l’on connaît quelqu’un. Ce dernier point est particulièrement important, car il souligne combien les appartenances communautaires jouent un rôle dans le choix d’un établissement de soins. En effet, les patients ordinaires, souvent traités avec peu d’égards par le personnel de santé, cherchent à être soignés là où ils disent avoir confiance, à savoir dans une clinique ouverte par l’un des membres de leur ethnie, ou par un ressortant de leur quartier.
En cas de maladie, le choix d’un hôpital ou d’une clinique varie en fonction du statut socioéconomique des patients. Même si l’on ne peut pas rigoureusement parler de classes sociales dans la société guinéenne, il existe néanmoins des strates sociales entre lesquelles persistent de fortes différences en termes de conditions de travail, de vie et de revenu .
En dehors de la pauvreté, les choix thérapeutiques sont aussi liés aux représentations sociales négatives et dévalorisantes des médecins, perçus comme des individus avides, pour lesquels l’argent prime sur l’intérêt des patients, a fortiori lorsqu’ils sont de simples anonymes. Ainsi, dans les structures sanitaires, il est systématiquement demandé aux patients d’acheter, sur place, les produits nécessaires pour le traitement. Par exemple, un malade qui fait une crise d’asthme se verra demander le prix de l’oxygène utilisé pour le soulager et, s’il ne peut pas payer, le traitement lui sera refusé. Les nombreux cas de décès survenant dans les familles incapables de payer leurs soins expliquent également le peu de confiance qu’ont les patients dans les structures sanitaires. Ces évènements tragiques sont très médiatisés.
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