Le monitoring des armes en Guinée : les institutions forensiques nationales, Small Arms Survey, septembre 2019

Le monitoring des armes en Guinée : les institutions forensiques nationales, Small Arms Survey, septembre 2019

Auteur : André Desmarais
Organisation affiliée : Small Arms Survey
Type de publication : Note d’information

Date de publication : septembre 2019

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Introduction

les institutions forensiques contribuent aux enquêtes criminelles en procédant à l’examen des armes utilisées pour commettre les infractions concernées et des éléments de preuve de type balistique découverts sur les scènes de crime – par exemple les étuis percutés, les balles et leurs fragments. Les spécialistes en balistique qui travaillent au sein de ces structures comptent parmi les experts locaux les plus compétents en matière d’armes à feu et des munitions.

Le contexte

Au cours des récentes guerres civiles qui ont éclaté dans les États voisins de la Guinée, différents acteurs de ces conflits ont fait de la région de la Guinée forestière une base arrière et y ont notamment installé de nombreuses caches d’armes. En outre, le trafic d’armes est alimenté par la production locale d’armes artisanales – des fusils et des armes de poing capables de tirer des cartouches de chasse et dites « armes de forgerons », mais aussi par des armes artisanales introduites clandestinement sur le territoire guinéen.

Enfin, les trafiquants d’armes tirent profit de la façade maritime du pays, longue de plus de 300 kilomètres, pour faire transiter des armes à feu par la Guinée (ONU, 2017). Ces dernières années, différents flux d’armes transfrontaliers à double sens ont été identifiés entre la Guinée et d’autre pays de la sous-région – parmi lesquels la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone – et du Sahel. Il semble que des armes illicites circulent encore, notamment entre la Guinée et le Mali.

Selon les autorités guinéennes, les armes illicites le plus fréquemment détenues par les civils sont, par ordre d’importance, les armes à feu artisanales, les fusils de chasse et, en queue de classement, les armes automatiques. Ces armes de contrebande pénètrent sur le territoire essentiellement par voie terrestre depuis l’ensemble des zones frontalières, et très marginalement par voie maritime.

Le cadre légal

L’article 9 précise que « l’acquisition et la détention d’armes et munitions des catégories 1, 2, 3, 4 et 5 sont interdites sauf autorisation ». En revanche, selon l’article 20, « le port et le transport des armes et munitions des catégories 5, 6, 7 et 8 sont libres ». Par ailleurs, les personnes majeures peuvent sans restriction détenir des armes des catégories 6 à 8 (art. 15)10.

En outre, le trafic d’armes est alimenté par la production locale d’armes artisanales – des fusils et des armes de poing capables de tirer des cartouches de chasse et dites « armes de forgerons », mais aussi par des armes artisanales introduites clandestinement sur le territoire guinéen

La Direction générale du renseignement intérieur (DGRI) est l’institution chargée d’accorder les autorisations de port d’armes de chasse pour une durée reconductible d’un an. Elle en a accordé seulement 35 en 2018. Cette direction est également chargée de délivrer des permis au personnel des ambassades, des sociétés minières et, ponctuellement, aux services de protection qui accompagnent les chefs d’État en visite officielle.

La DGRI n’est pas l’unique autorité en la matière. Elle partage cette prérogative avec le ministère de la Défense qui accorde les autorisations de port d’arme de poing. En outre, dans certaines régions reculées, ce sont les préfets qui délivrent ces permis.

La commercialisation des armes à feu et des munitions

Deux embargos partiellement concomitants ont été imposés à la Guinée par des autorités supranationales – entre 2009 et 2014 par l’Union européenne (France diplomatie, 2019) et entre octobre 2009 et mars 2011 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) (GRIP, 2015).

Depuis lors, les importations d’armes de chasse auraient cessé. La dernière armurerie répertoriée sur Internet, EPC Guinée, a mis fin à ses activités (Go Africa Online, n.d.). Pourtant, récemment, une échoppe installée « sur la Corniche », à Conakry, aurait commercialisé illégalement sept fusils de chasse pour un prix unitaire d’environ 12 millions de GNF (soit environ 1 310 dollars US).

Une typologie de l’armement illicite intercepté sur le territoire guinéen

Les armes de fabrication artisanale n’étaient majoritaires que dans le cas de l’une des restitutions volontaires – 77 %. À titre de comparaison, il convient de mentionner que seuls deux fusils dits « de forgeron » ont été observés dans le magasin des scellés de la Brigade de répression du banditisme n° 1 de Conakry – 6 % de l’ensemble des armes.

En outre, on a pu trouver des carabines de type SKS parmi les armes répertoriées lors de deux opérations de restitution volontaire, ainsi que dans l’ensemble des saisies étudiées. En revanche, parmi les 13 armes confisquées à un individu en mars 2019, ne figuraient ni carabines SKS, ni armes de type AK. L’individu en question détenait en revanche trois armes de type PPSh.

Le potentiel actuel en matière forensique

Sur le territoire guinéen, deux services portent un regard technique sur les enquêtes criminelles : la Direction de la police technique et scientifique (DPTS) rattachée à la Direction centrale de la police judiciaire au sein du ministère de la Sécurité et de la Protection civile ; et l’Unité régionale de police technique et scientifique (URPTS), qui dépend du haut commandement de la gendarmerie nationale, et donc du ministère de la Défense nationale.

La Direction générale du renseignement intérieur (DGRI) est l’institution chargée d’accorder les autorisations de port d’armes de chasse pour une durée reconductible d’un an. Elle en a accordé seulement 35 en 2018. Cette direction est également chargée de délivrer des permis au personnel des ambassades, des sociétés minières et, ponctuellement, aux services de protection qui accompagnent les chefs d’État en visite officielle

L’équipe d’intervention de la DPTS est constituée de cinq fonctionnaires qui se livrent essentiellement à des activités de criminalistique élémentaire par manque de moyens techniques. Ils mutualisent une unique mallette d’intervention contenant l’équipement le plus rudimentaire en la matière et se partagent deux appareils photo numériques avec l’équipe chargée des signalisations.

Faute de lampes électriques, les opérations de nuit sont menées avec leurs téléphones portables ou des lampes de poche personnelles. Ce service est équipé d’un véhicule et d’un unique ordinateur – raccordé à une imprimante – dont les données ne sont pas sauvegardées. Il arrive que des photographies soient imprimées « au cyber », sur les fonds propres du chef de service.

L’URPTS est un service bien structuré, mais ses locaux sont très éloignés du centre de la capitale. Par ailleurs, le fichier d’identification criminelle créé en 2013 contient seulement quelques centaines de fiches décadactylaires. Les fiches signalétiques sont scannées puis intégrées à une base de données développée sous Access, mais l’ordinateur qui héberge celle-ci n’est pas suffisamment performant pour mener à bien des recherches.

En Guinée, les morts violentes causées par un tiers résultent davantage de l’utilisation d’armes blanches que de celle d’armes à feu (30 % des cas seulement). Selon une étude de 2016 sur les plaies pénétrantes du thorax, 59 % des victimes seraient des sujets âgés de 21 à 30 ans. Les plaies balistiques sont causées à 90 % par des fusils d’assaut de type Kalachnikov, les 10 % restant étant majoritairement imputables à des armes de chasse. L’équipe médicale regrette de ne pouvoir bénéficier, au quotidien, du soutien d’experts en balistique lésionnelle.

La justice et la lutte contre la criminalité liée aux armes à feu

La Loi n° 2016/060 portant Code de procédure pénale a introduit des notions très pragmatiques, comme la « saisie », les « scellés » et la scène « de crime » (République de Guinée, 2016). L’article 65 stipule qu’« en cas de crime flagrant, l’officier de police judiciaire [. . .] se transporte sans délai sur le lieu du crime et procède à toutes constatations utiles.

L’URPTS est un service bien structuré, mais ses locaux sont très éloignés du centre de la capitale. Par ailleurs, le fichier d’identification criminelle créé en 2013 contient seulement quelques centaines de fiches décadactylaires. Les fiches signalétiques sont scannées puis intégrées à une base de données développée sous Access, mais l’ordinateur qui héberge celle-ci n’est pas suffisamment performant pour mener à bien des recherches

[. . .] Il saisit les armes et instruments qui ont servi à commettre le crime ou qui étaient destinés à le commettre [. . .]. » L’article 68 précise que « si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie [. . .] tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés ».

En matière d’expertise balistique, les magistrats rencontrés dans le cadre de cette recherche ont dit regretter de ne pas disposer localement d’un personnel formé à ces missions. La dernière édition du Code de procédure pénale ne fait aucunement référence aux armes et aux munitions, alors même que, dans le domaine de la fausse monnaie, elle impose qu’« au moins un exemplaire de chaque type de billets ou pièces suspecté faux [soit adressé] au centre d’analyse national habilité à cette fin » (République de Guinée, 2016, art. 68).

La surveillance des flux d’armes illicites et la lutte contre le trafic

Les services forensiques ne disposent d’aucune compétence particulière en matière d’analyse balistique. Les armes saisies ne leur sont donc jamais confiées pour examen. De plus, il semble qu’aucun service ne soit chargé de la centralisation des informations et des recherches relatives aux armes et aux munitions. En revanche, deux entités sont particulièrement actives dans ce domaine : la ComNat-ALPC et le Mines Advisory Group (MAG).

Ensemble, ces structures mènent des missions d’évaluation technique des sites de stockage des armes et des munitions. Le MAG contribue également à la construction ou à la réfection de dépôts d’armes et d’armureries des forces de l’ordre et de l’armée.

Conclusion

En République de Guinée, les compétences forensiques se limitent à la production de fiches anthropométriques de la population pénale, à la documentation photographique de scènes de crimes et à la recherche de traces digitales à l’aide de poudres dactylo techniques.

Les armes « saisies » ne sont pas systématiquement répertoriées, étiquetées, et transmises aux juges chargés des dossiers avec les autres pièces de procédure. Souvent, ces armes sont conservées dans les locaux du service qui a procédé à leur saisie.

De plus, faute d’une bonne répartition des zones de compétence attribuées aux deux ministères concernés, « [la] gendarmerie et [la] police font la même chose au même endroit »81, ce qui limite les synergies et nuit à l’efficacité des enquêtes criminelles.

Les services de police scientifique sont indispensables aux diverses enquêtes menées dans le pays. Tous les interlocuteurs rencontrés par l’auteur déplorent la fragilité des services guinéens de PTS. Qu’il s’agisse de policiers ou de gendarmes, de magistrats ou de médecins légistes, tous souhaitent pouvoir disposer localement d’un soutien dans le domaine balistique, mais aussi dans toutes les autres branches des sciences forensiques.

 

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