Ibrahima Diallo
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
À la base, je n’étais pas quelqu’un de passionné par l’écologie, j’étais passionné par l’entrepreneuriat et le business. J’ai commencé à entreprendre quand j’avais 14 ans. En 2014, la Guinée a été frappée par l’épidémie d’Ebola et l’école avait fermé pour six mois. À l’époque, j’étais à la maison, je venais de passer mon examen d’entrée en 7ème et j’ai dit à mes parents que je voulais entreprendre et travailler. Étant petit, ils ne m’ont pas pris au sérieux. Un jour, je me suis rendu à Madina, le plus grand marché de Guinée Conakry, afin de trouver du travail. J’étais payé 5000 francs guinéen (soit 53 centimes). Je suis resté durant ces six mois en essayant de comprendre le monde du business, de nouer des relations et de m’ouvrir vers le monde extérieur. Puis les cours ont repris mais quand j’avais du temps libre je retournais là-bas. Lorsque j’ai décroché mon baccalauréat, on m’a donné de l’argent en guise de cadeau. J’ai décidé d’investir cet argent-là pour pouvoir le fructifier. J’étais passionné par la technologie et la science.
Je suis énormément de documentaires, et on y parlait des problèmes de pollution du plastique, de réchauffement climatique, donc j’ai commencé à y être sensibilisé. Il fallait identifier le problème pour trouver une solution. Ici, à Conakry, nous sommes envahis par les déchets qui représentent une menace grandissante. Quand je me suis intéressé au problème, j’ai compris que le gros problème était les déchets plastiques qui ne pourrissent pas, qui ne sont pas biodégradables. En général, on les collecte et on les entasse dans une décharge puis, soit on les enfouit sous terre, soit on les incinère. Tout cela a des conséquences.
Quand on enfouit le plastique sous terre, cela rend la terre infertile et peut porter atteinte à la nappe phréatique. Quand on l’incinère, cela produit du CO2 et endommage la couche d’ozone. On retrouve le plastique en deux états dans l’océan : en micro et en macro particules. Le plastique en microparticules se décompose sous l’effet de l’eau salée, les poissons peuvent l’avaler et ces mêmes poissons peuvent se retrouver dans nos assiettes. Même l’espèce humaine est donc menacée par ce fléau, et le problème est d’ampleur mondiale.
Ici, à Conakry, nous sommes envahis par les déchets qui représentent une menace grandissante
Le plastique est souvent à usage unique. Étant à la fois quelqu’un qui a pris conscience de ces questions-là et qui a vu là une opportunité de business et d’emploi pour des jeunes et des femmes, je me suis dit qu’il fallait essayer.
Le plastique est un dérivé du pétrole et je me suis alors rappelé de mes cours de chimie : « Rien ne se perd, rien ne se créé, tout ne fait que se transformer » (A. Lavoisier). Si on peut partir du pétrole pour venir au plastique, pourquoi ne pas faire l’inverse : partir du plastique pour revenir au pétrole ? À travers mes recherches, j’ai vu que ces questionnements existent déjà chez les occidentaux, mais le carburant obtenu ne peut pas être directement mis dans un moteur et fonctionner. On obtient une forme d’huile assez lourde qui nécessite un raffinage approfondi. Nous savons que les personnes ayant ces moyens de raffinerie préfèrent se concentrer sur les gisements pétroliers, et moi je me suis dit que j’allais plutôt m’intéresser à un carburant neutre.
Pour information, je ne suis pas chimiste ni pétrochimiste, mais en matière de science et de culture il ne faut pas s’imposer de limites. Ma machine est composée de réacteurs qui transforment le plastique en une vapeur hydrocarbonée puis j’ai installé une mini-raffinerie de pétrole. Ma machine transforme donc le plastique en énergie : en carburant (diesel, kérosène, gaz, charbon). La machine est 100 % écologique, elle ne rejette aucune substance toxique ou nuisible pour l’environnement et les citoyens.
Pourquoi choisir de recycler le plastique et pas un autre déchet ?
Déjà, le plastique est abordable, il est partout, et on n’a pas encore trouvé de solution concrète pour ce déchet-là. Les autres déchets finissent par pourrir mais le plastique est là pour cent ans voire mille ans pour certains types de plastique. On fait donc face à une urgence.
Quels sont aujourd’hui les principaux enjeux environnementaux auxquels fait face la Guinée ?
En général, ici, la question environnementale n’intéresse pas les gens, c’est un peu comme à Dakar (Sénégal) ou à Rabat (Maroc). L’écologie n’est pas un débat ici, elle ne fait pas l’objet de discussions. C’est donc difficile pour moi d’expliquer quels sont les problèmes auxquels la Guinée est confrontée puisque moi-même j’ai pris conscience très tardivement de ces enjeux-là et des conséquences du plastique sur l’environnement.
Le travail de sensibilisation à la crise environnementale est inexistant en Guinée. À ma connaissance, concernant les déchets chimiques et dangereux, aucune sensibilisation n’est faite. La population guinéenne n’a pas encore pris conscience de l’ampleur des problèmes environnementaux.
Quelle lecture faites-vous des actions de l’État guinéen vis-à-vis de la crise climatique ?
Je ne vois pas d’action concrète de leur part. Il n’y a ni loi, ni disposition qui sont prises par le Gouvernement face à ce problème. Pourtant, les déchets que je vois dans la rue et au bord de la mer sont des déchets issus de la population guinéenne elle-même et non pas des déchets importés.
Vous parlez souvent d’économie circulaire dans votre projet. Concernant les ressources humaines, comment arrivez-vous à instaurer une synergie entre les différentes compétences nécessaires ?
C’est l’un des plus grands problèmes auquel je suis confronté. Il y a deux défis : imaginer quelque chose de réalisable, puis avoir les moyens et la main-d’œuvre nécessaires pour réaliser ce projet. Dans mon domaine, j’ai besoin d’une expertise par exemple en pétrochimie et malheureusement je n’en trouve pas et je suis obligé de me débrouiller moi-même en fonction de mes propres compétences et des notions que j’ai apprises par ci par là.
On manque de compétences en Guinée notamment dans le domaine de l’innovation technologique. Pour illustrer cela, à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, on m’avait qu’il y aurait des professeurs en chimie ayant des doctorats qui pourraient m’aider. Je me suis donc dirigé vers eux car j’étais bloqué et je ne parvenais pas à résoudre mes équations, et j’ai eu le sentiment que c’était plutôt moi qui étais en train de leur enseigner quelque chose. Automatiquement, j’ai pris mes bagages et je suis parti. Cela illustre les problèmes liés à la compétence et à certains domaines spécifiques. Ici, les seuls qui puissent aider sont des étrangers et ils demandent beaucoup de moyens.
Moi qui ai fait le cycle scolaire guinéen en sciences mathématiques, je devrais avoir des notions qui me sont utiles mais malheureusement aucune de ces notions ne m’a servi. Le système éducatif guinéen doit être revu, ce n’est pas normal que ce que j’ai eu à apprendre ne me serve à rien dans une activité liée à la chimie.
On manque de compétences en Guinée notamment dans le domaine de l’innovation technologique
Au Bénin et au Sénégal, en Afrique souvent, on est confronté à une crise du carburant. Comment la situation se présente-t-elle en Guinée et quelle serait la plus-value de votre projet à la disponibilité du carburant ?
Il y a quelques mois, la Guinée était confrontée au même problème que le Bénin et le Sénégal. Il n’y avait plus de carburant et le prix a explosé de plus de 20 % je crois. Au-delà des questions liées à l’environnement, ceci est un exemple de la nécessité de pallier à cette crise récurrente. La guerre entre la Russie et l’Ukraine engendre des conséquences en Afrique de l’Ouest concernant le secteur du carburant. Mon projet pourrait permettre de diminuer le prix du litre à la pompe. Je vais produire localement et cela va amortir les coûts des importations. J’ai également d’autres projets de biocarburant. Il faut avoir confiance en le génie africain.
Dans l’idéal, si on généralise ce modèle que j’ai mis en place, on pourrait tendre vers une autonomie énergétique en Guinée. En général, ma machine a d’autres compétences : elle peut transformer les huiles de vidange en diesel. La consommation quotidienne d’huile de vidange représente des milliers de litres et cela n’est pas négligeable. Si on regarde les déchets plastiques que produit ne serait-ce qu’un seul marché dans une seule journée, c’est déjà énorme et dans une ville on peut avoir plusieurs marchés qui produisent ensemble des milliers de tonnes de plastiques. J’aimerais aider mon pays à sortir de cette crise. Actuellement, ce n’est pas réaliste de vouloir être indépendant des importations nigérianes. Il faut d’abord une réelle volonté politique.
Les observateurs pensent la Guinée et le Sénégal comme les futurs « eldorado » pétroliers, quel est votre avis sur les enjeux liés à l’exploitation des ressources du sous-sol dans votre pays ?
La Guinée a une bonne réserve de pétrole mais elle n’a pas encore commencé à l’exploiter à ma connaissance. Les seuls minerais exploités sont le bauxite, l’or, le diamant et le fer. Je ne pourrai pas dire que la Guinée va être un eldorado pétrolier car on n’a pas encore commencé l’exploitation et on ne sait même pas si le produit fini sera de bonne qualité ou non.
Quelles recommandations pour les jeunes qui vous écoutent et ont envie de faire changer les choses ?
Que ce soit sur le plan environnemental ou sur d’autres plans, la jeunesse est confrontée aux mêmes problèmes. Je veux dire à la jeunesse de ne pas écouter les défaitistes et les profanes. Souvent ici en Afrique, les gens qui sont profanes dans un domaine se permettent de faire des conclusions hâtives alors qu’ils ne maîtrisent pas le secteur. Il faut croire en ses convictions et persévérer malgré les obstacles. Par exemple, j’ai conçu au total neuf machines avant d’obtenir les résultats espérés. Neuf machines pour un jeune entrepreneur qui n’a aucun fonds et aucune notion approfondie en chimie et en pétrochimie. Cela peut décourager psychologiquement mais il faut se préparer moralement pour pouvoir affronter ces défis-là. Aucun défi n’est insurmontable. Voilà ce que je peux dire à la jeunesse et à ceux qui veulent entreprendre dans le domaine de l’écologie et de la protection de l’environnement. Cela représente un grand défi, un grand problème politique également lié aux lobbies.
S’il y a une industrie de chimie qui pollue l’environnement, les jeunes qui militent doivent continuer et ne doivent pas avoir peur. Il faut aller jusqu’au bout pour sauver l’environnement. Nous faisons mal à cette planète alors que dans l’univers c’est la seule qui a accepté de nous héberger. Cela fait un moment qu’elle appelle au secours. Ces projets écologiques sont l’occasion pour tout un chacun de se racheter et d’apporter un soutien moral ou financier à ces différents projets.
Crédit photo : Siam Infos
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