L’écosystème médiatique guinéen : objet de désintermédiation

L’écosystème médiatique guinéen : objet de désintermédiation

Kabinet Fofana

Si le travail de hiérarchisation de l’information était du seul ressort des journalistes, depuis un certain nombre d’années l’écosystème médiatique guinéen connait une déstabilisation accrue sous l’effet de l’amplification du numérique dans les usages de consommation de l’information. De la désintermédiation entre les journalistes et le public des médias ou encore de la modification la consommation médiatique, l’espace médiatique se modifie.

L’investissement poussé des réseaux socionumériques par le personnel politique s’explique par la forte présence du public sur la toile, qui a vu naître « l’Internet militant », notamment Facebook, Twitter ou Instagram. Le public guinéen n’étant pas en marge de cette révolution numérique.

En effet, dans le rapport annuel de l’Autorité de régulation des postes et télécommunication (ARPT) de 2020, le nombre d’abonnés à l’Internet mobile est de 6,093 millions contre 4,815 millions en 2019, soit une augmentation de 26,5% sur la période indiquée. Du fait aussi de la profusion des forums de discussions et de débats autour de sujets politiques (manifestations de l’opposition, les élections, les politiques publiques ou les mandats politique). Selon une étude du CERF-Guinée réalisée en 2020 : 27,64 % de la population guinéenne utilisent les réseaux sociaux. Au nombre de ceux qui suivent les réseaux sociaux et s’y informent, 82% le font via le réseau social Facebook.

La consommatique médiatique subséquemment liée à la démultiplication des organes de presse, devient de plus en plus accrue par la diversification des modes d’accès à l’information, notamment à travers les réseaux sociaux. Si les médias traditionnels ne sont plus nécessairement les seuls moyens par lesquels le public s’informe, les réseaux sociaux constituant un véritable moyen de socialisation, s’imposent bête comme chou, des médias alternatifs à mesure de leur statut infomédiaire.

L’investissement poussé des réseaux socionumériques par le personnel politique s’explique par la forte présence du public sur la toile, qui a vu naître « l’Internet militant », notamment Facebook, Twitter ou Instagram

Cette posture de médias prescripteurs des réseaux sociaux est déterminée par le fait que les internautes aient une capacité de rééditorialisation des contenus pourtant produits par les journalistes. Les internautes autrefois réduits à de simples « spectateurs » sont désormais des acteurs qui coproduisent l’information au même titre que les médias traditionnels.

L’influence des réseaux sociaux sur le positionnement des rédactions se traduit par la prise en compte des habitudes médiatiques et des sujets de prédilection du public très présent sur la toile : l’offre informationnelle sous effet de l’action des internautes sur les réseaux socionumériques se trouve redéfinie et assujettie à quelques médias ayant un fort engagement. On peut bien supposer que la force d’un média sied à son offre, c’est-à-dire le nombre de contenus produits par jour, par exemple, ou encore le nombre de visiteurs, dans le cas d’un site internet. Cette tendance se trouve de plus en plus remise en cause par les usagers des réseaux socionumériques qui définissent et orientent les sujets.

Autant sur Twitter (Compagno et al, 2017) que sur Facebook, l’affluence d’un média est mesurée par l’intérêt suscité auprès du public. C’est notamment le nombre de citations d’un passage d’un article ou du lien de l’article. Du fait d’un contexte médiatique mu par le numérique, plusieurs autres acteurs outre les journalistes produisent aussi de l’information.

Les médias guinéens, contrairement à l’ère de la presse imprimée, restent fondamentalement de nos jours bouleversés par des approches commerciales. Celles-ci sont fortement liées à l’usage de la technologie comme outil d’appréciation du travail journalistique et d’appropriation du numérique.

Des études d’audience par les métriques qui ont fondamentalement modifié le cadre de fonctionnement des médias impactent d’une certaine façon le positionnement des rédactions par-delà l’appréciation des rédacteurs. Les études d’audience affectent autant l’éditorialisation des informations.

Si les médias traditionnels ne sont plus nécessairement les seuls moyens par lesquels le public s’informe, les réseaux sociaux constituant un véritable moyen de socialisation, s’imposent bête comme chou, des médias alternatifs à mesure de leur statut infomédiaire

L’usage du numérique dans les rédactions impacte tout aussi l’organisation du travail et impose certains profils. C’est tout comme l’organisation technique – les journalistes à l’origine dédiés à la production d’articles bien fournis peuvent désormais être affectés à l’écriture de brèves qui rejoignent l’opinion du public sur la toile.

La performation du travail journalistique participe tout aussi à la démultiplication d’aptitudes professionnelles comme la maitrise d’applications de mesure d’audience et la compréhension des comportements sociaux et de consommation médiatique. Dans le continuum donc du bouleversement opéré par le numérique dans la presse, le statut de journaliste se démocratise au fur et à mesure en Guinée.


Source photo : Resonews

Kabinet Fofana

 

Kabinet Fofana est un politologue guinéen. Il est le directeur de l’Association guinéenne de sciences politiques ( AGSP).

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