Boubacar sidighi Diallo
Depuis le 5 septembre 2021, la République de Guinée vit sa troisième transition politique avec la prise du pouvoir par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD). Parmi les priorités affichées par les nouvelles autorités, il y a la refondation de l’Etat. Cette refondation permettrait une qualification des institutions, des cadres et logiques de déploiement des politiques publiques pour de meilleurs services aux populations.
Dans cet objectif, il a été organisé un débat d’orientation constitutionnelle par le Conseil National de Transition (CNT) pour tracer les contours de la future Loi fondamentale du pays. Cet article est une contribution à ce débat et aborde plus largement les réformes qui me semblent essentielles pour ancrer définitivement la décentralisation (principes, normes et pratiques) dans la conduite des politiques publiques.
La République de Guinée a fait le choix de la décentralisation pour promouvoir un développement à l’échelle des territoires et créer un cadre de mobilisation libre des populations dans les processus de développement depuis 1985. Plus de trente ans après, les résultats restent mitigés. Cependant pour avoir « pratiqué » les processus de décentralisation, mis en œuvre en France, au Sénégal et en République de Guinée, je reste convaincu que de tels processus, menés avec ambition peuvent se révéler de véritables catalyseurs en matière de développement. Et pour aller dans ce sens, voici quelques idées/réformes en guise de contribution au débat nécessaire en cette période transitoire pour aller vers un développement harmonieux, inclusif et durable en République de Guinée.
Du préambule de la Constitution
Ajouter dans les attributs de l’Etat (unitaire, républicain, laïc…), le mot décentralisé. Cette référence à ce niveau de la Constitution permettra de donner de la force juridique au processus de décentralisation. Cette référence témoignera aussi notre attachement collectif à faire des principes (subsidiarité, libre administration des collectivités locales, participation des citoyens…), des normes (co-construction et cogestion des politiques publiques, partage des responsabilités…) et des pratiques (respect des cultures et identités locales, valorisation des ressources locales, appui à l’autopromotion des communautés…) de la décentralisation des exigences en matière de conduite des politiques publiques à tous les niveaux de territoires.
La République de Guinée a fait le choix de la décentralisation pour promouvoir un développement à l’échelle des territoires et créer un cadre de mobilisation libre des populations dans les processus de développement depuis 1985
Une telle inscription montrera aussi clairement notre volonté commune de redonner du pouvoir de décision et d’action aux périphéries, souvent marginalisées par rapport à la capitale Conakry. Cette politique de décentralisation permettra de trouver les moyens et les cadres propices pour intéresser et impliquer nos compatriotes notamment de l’intérieur du pays dans la gestion des affaires publiques, en synergie avec la diaspora .
Aujourd’hui, le citoyen ne veut plus que l’on fasse pour lui, mais avec lui. Ce citoyen a des ressources (connaissances, compétences, finances, réseaux…) qu’il est prêt à mettre à disposition des dynamiques de développement, pourvu que l’Etat trouve les bons cadres d’action. Il suffit de voir les investissements des Guinéens dans les actions socioéconomiques à l’échelle de nos terroirs urbains et ruraux. Et, dans un Etat qui devra rester unitaire, seule une volonté politique résolue de décentraliser les pouvoirs de décision et les moyens d’action peut permettre à la République de Guinée de valoriser ses ressources au profit d’un développement local et national durable et inclusif.
Du niveau de collectivités locales dans la Constitution
Je propose que l’on reste sur un seul niveau de collectivité locale, à savoir la commune avec une communalisation intégrale. Pour rappel, il n’existe aucune différence juridique entre une commune urbaine et une commune rurale. Une telle option avec la possibilité de travailler sur des intercommunalités (de projets ou à fiscalité propre) permet de concentrer l’essentiel des ressources sur le développement à la base avec une meilleure fourniture des services publics locaux, si déficients aujourd’hui. Le problème crucial de la décentralisation reste aujourd’hui le transfert des ressources financières de l’Etat vers les communes et la mobilisation des ressources propres (impôts, taxes, fonds de coopération) par les communes elles-mêmes.
Aujourd’hui, le citoyen ne veut plus que l’on fasse pour lui, mais avec lui
En revanche, je ne suis pas favorable pour ériger les régions en collectivités locales pour plusieurs raisons politiques et financières. La République de Guinée reste un pays politiquement très clivé et rajouter un niveau de compétition politique n’est certainement pas la meilleure option.
Une nouvelle collectivité locale ferait certainement les affaires des acteurs politiques, mais pas celles du développement national. Cela risque aussi d’exacerber les clivages politiques voire identitaires déjà très marqués sans oublier que cela nécessitera forcément un redécoupage administratif pour aller vers des espaces régionaux viables économiquement, toujours sources de débats politiques qui pourraient être évités. Pour rappel, le Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT) de 1991 avait prévu 10 régions « économiques » et dans une logique de cohérence de l’action de l’Etat, il est important d’harmoniser les outils de planification des différents Départements ministériels.
Il est aussi connu que le problème de la décentralisation n’est pas seulement le transfert des compétences, mais bien celui des ressources (humaines, matérielles et financières) pour assumer ces compétences. Or l’expérience de la décentralisation avec les communes montre clairement les difficultés de l’Etat à transférer les ressources ou à accompagner les collectivités à en créer de façon viable (mobilisation des ressources propres). Après 30 ans de décentralisation, les communes existent juridiquement, mais peu sont viables avec des ressources humaines, techniques, financières à la hauteur des enjeux de développement local.
Les coûts de fonctionnement des régions en tant que collectivités locales peuvent être énormes au regard du bénéfice attendu en termes de développement. Les communes rencontrant déjà des difficultés structurelles de fonctionnement, la solution n’est certainement pas d’aller à un autre niveau de collectivité locale mais plutôt de renforcer les possibilités d’action des communes et de travailler sur les intercommunalités.
Je propose que l’on reste sur un seul niveau de collectivité locale, à savoir la commune avec une communalisation intégrale. Pour rappel, il n’existe aucune différence juridique entre une commune urbaine et une commune rurale
Ainsi, la région devrait rester déconcentrée et devenir un vrai laboratoire de déploiement des services déconcentrés de l’Etat pour la mise en œuvre des politiques publiques efficientes. Par ailleurs, la Préfecture devrait rester aussi déconcentrée. Elle est un bon niveau d’exécution des politiques publiques sectorielles et dispose déjà d’un outil intéressant pour promouvoir le développement à cette échelle du territoire national. Il s’agit du Comité préfectoral de développement (CPD) qui devrait être mis en place dans toutes les préfectures car on a souvent tendance à n’en créer que dans les préfectures dites minières.
Quant aux sous-préfectures, elles devraient être maintenues, mais il est prévu dans le nouveau code des collectivités d’en diminuer le nombre. Cette possibilité a déjà été ouverte par le Lettre de politique nationale de décentralisation et de développement local (LPNDDL) adoptée en 2012. Par ailleurs, il ne faudrait pas perdre de vue que l’autre défi majeur en Guinée reste le déploiement de l’Etat central via la déconcentration sur l’ensemble du territoire national pour éviter des zones dites de « non-droits ».
Sur le territoire national, nombreux sont encore les endroits où les services publics y compris les régaliens sont quasi-absents en témoignent les retours de l’immersion gouvernementale à l’arrivée du CNRD et la tournée du CNT à l’intérieur du pays. Aujourd’hui, la logique voudrait que l’on aille vers une rationalisation du fonctionnement de l’Etat et des collectivités locales pour se dégager des marges de manœuvre budgétaire pour répondre aux besoins réels de la population qu’elle soit en villes ou en campagne.
Ainsi, ériger les régions en collectivités locales, ce qui ne fera pas disparaître la région administrative, est un contre sens. Il faut plutôt aller vers une diminution des institutions (nationales et locales) et optimiser le fonctionnement et le déploiement des entités pour de meilleurs services aux populations. Ce qui redonnera du sens et de la légitimité à l’action de l’Etat.
Les communes rencontrant déjà des difficultés structurelles de fonctionnement, la solution n’est certainement pas d’aller à un autre niveau de collectivité locale mais plutôt de renforcer les possibilités d’action des communes et de travailler sur les intercommunalités
Du Code des collectivités locales et des actes règlementaires d’application
A l’issue du référendum constitutionnel, quelles que soient les options retenues sur les questions de décentralisation, un nouveau code des collectivités locales sera nécessaire. Ce nouveau code devra être accompagné des principaux actes règlementaires d’application notamment en ce qui concerne les décrets les plus importants concernant les changements intervenus dans l’administration territoriale, le niveau de collectivité locale, les mécanismes financiers, le statut de la Ville de Conakry, les modes d’élection des élus locaux…
Il est important durant cette période transitoire que le ministère en charge de la décentralisation en fasse son crédo pour faciliter l’appropriation et l’application du Code après la transition par les acteurs et parties prenantes. Il est évident que le manque d’actes règlementaires est l’une des difficultés majeures dans l’application de l’actuel code des collectivités locales. Ce qui ouvre la voie à des interprétations, sources de divergences voire de conflits.
Du Code électoral
La décentralisation rime avec légitimité quelle que soit la forme des élections. Or cette légitimité ne peut être obtenue que par des élections libres et transparentes. Après l’adoption de la constitution, il sera nécessaire de réviser le Code électoral notamment sur le mode d’élection des élus locaux par exemple à Conakry et dans d’autres intercommunalités à fiscalité propre. Cela permet de faire fonctionner ces collectivités locales dès la transition pour éviter de constitutionnaliser des institutions et ne pas les faire fonctionner.
Ainsi, ériger les régions en collectivités locales, ce qui ne fera pas disparaître la région administrative, est un contre sens. Il faut plutôt aller vers une diminution des institutions (nationales et locales) et optimiser le fonctionnement et le déploiement des entités pour de meilleurs services aux populations. Ce qui redonnera du sens et de la légitimité à l’action de l’Etat
Du statut de la ville de Conakry
La ville de Conakry est régie encore par l’ordonnance 002 du 5 janvier 1989 lui conférant un double statut en tant que collectivité décentralisée et circonscription administrative. Ce double statut qui n’était que transitoire a finalement vécu plus de 30 ans. Cela montre une fois de plus les difficultés à aller vers des réformes institutionnelles en République de Guinée.
Il semble pertinent, aujourd’hui au regard des enjeux de développement urbain de doter cette ville d’un nouveau statut, en capacité de promouvoir son développement. Pour cela, il faut faire de la Ville de Conakry une collectivité locale à part entière avec un Maire élu, dès les prochaines élections locales organisées.
Cela n’empêche pas l’Etat d’avoir un représentant qui pourrait s’appeler Gouverneur avec des prérogatives claires en termes de sécurité, de préservation des intérêts nationaux et d’exercice de tutelle sur les collectivités locales. Cela n’empêche pas aussi l’existence juridique autonome des communes à Conakry qui siègeront dans les organes de gestion de la Ville, en tant que collectivités locales.
Une telle option ouvrirait d’importantes opportunités de développement à la ville avec un renforcement de ses capacités propres à agir en ternes de fourniture de services publics locaux (sécurité, transport, logement, santé, éducation, énergie, assainissement…) et permettre aussi à la Ville de se positionner pour capter des ressources au niveau régional, africain et international par le biais de multiples partenariats de coopération décentralisée.
Une telle réforme institutionnelle nécessite, pour plus de cohérence, un redécoupage des communes de la ville de Conakry et même d’aller vers de nouvelles limites de la ville de Conakry en prenant en compte l’étalement urbain autour de Dubréka et de Coyah. Il est vrai que les capitales ont souvent des statuts particuliers en termes de gestion compte de tenu de leur position sur l’échiquier administratif et politique, mais il est important de trouver un juste équilibre entre administration et développement.
Des mécanismes de financement de la décentralisation et du développement local
Une décentralisation et un développement local effectifs passe par l’opérationnalisation de mécanismes de financement pérennes. La création du Fonds national de développement local (FNDL), du Fonds de développement des communes de Conakry (FODECCON) et du Fonds de développement économique local (FODEL) ont été des avancées. Il est important, durant cette période transitoire, de consolider ces mécanismes en élargissant les sources de recettes et en systématisant ces prélèvements pour abonder ces fonds.
La ville de Conakry est régie encore par l’ordonnance 002 du 5 janvier 1989 lui conférant un double statut en tant que collectivité décentralisée et circonscription administrative. Ce double statut qui n’était que transitoire a finalement vécu plus de 30 ans. Cela montre une fois de plus les difficultés à aller vers des réformes institutionnelles en République de Guinée
Tout un travail institutionnel et juridique pourrait être fait au Gouvernement sous le leadership du ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation (MATD) pour de tels objectifs. Le FODECCON pourrait être élargi aux autres communes « urbaines » avec des dotations conséquentes pour financer les infrastructures, équipements et services urbains. Pour cela, il faudrait reclassifier les communes en prenant en compte les réalités urbaines et définir des systèmes de péréquation pour garantir une certaine équité dans le financement.
Avoir ce fonds dédié aux infrastructures, les équipements et les services urbains en lien avec Partenaires Techniques et Financiers et le secteur privé est nécessaire pour permettre à la République de Guinée de faire à face aux défis d’un développement urbain très peu harmonieux aux conséquences importantes pour les perspectives de développement du pays (apparition des quartiers précaires, perte des terres agricoles, déconnexion entre les villes et les campagnes, destruction des écosystèmes naturels…).
De la question de l’appui à la maîtrise d’ouvrage locale
L’effectivité de la décentralisation et du développement local passe par un appui à la maîtrise d’ouvrage locale. Cet appui de l’Etat permet aux collectivités locales d’être outillées et accompagnées techniquement dans l’exercice de leurs missions en termes de développement local.
Aujourd’hui, au regard de l’expérience de cet appui assuré par une structure déconcentrée qui est plutôt axée sur des questions administratives, l’ancien Service régional d’appui aux collectivités et à la coordination des interventions des ONG (SERACCO), je suis plutôt favorable à la création, à l’échelle de chaque région administrative, d’une Agence de développement régional (ADR) pour être la porte d’entrée de tout ce qui est le développement local à l’échelle de ce territoire.
Cette agence dotée d’une personnalité juridique et morale avec des capacités techniques réelles et de possibilités de nouer différents partenariats outre l’appui du développement local, serait le « bras droit » du Gouverneur pour la mise en œuvre des politiques sectorielles, la coordination et l’harmonisation des interventions en matière de développement sur l’espace régional.
En conclusion, si la refondation de l’Etat tel que souhaitée par le CNRD passe forcément par une nouvelle constitution, celle-ci devrait consacrer, de mon point de vue, le principe d’une République décentralisée. Pour donner du contenu à un tel changement dans le texte fondamental, cela, d’importantes réformes (institutionnelles, politiques, financières) seront nécessaires pour ancrer les principes, normes et pratiques de la décentralisation dans la conduite des politiques publiques à l’échelle de tous les territoires. Cette transition est une opportunité pour faire de telles réformes.
Il est aussi du rôle du CNT d’impulser une telle dynamique de refondation en relation avec le Gouvernement et singulièrement avec la MATD en s’assurant notamment de la cohérence entre la nouvelle Constitution et les différents textes (Code des collectivités locales et actes règlementaires, statut de la Ville de Conakry…) pour faciliter la mise en œuvre du cadre juridique et institutionnel de la décentralisation. Il est important durant cette période de remettre à plat l’arsenal juridique de la décentralisation, l’actualiser pour permettre aux autorités de l’après-transition de le rendre effectif.
Crédit photo : ivonomad.com
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