L’organisation du scrutin présidentiel du 18 octobre 2020 en Guinée : la CENI à pied d’œuvre, le FNDC sur le qui-vive

L’organisation du scrutin présidentiel du 18 octobre 2020 en Guinée : la CENI à pied d’œuvre, le FNDC sur le qui-vive

Ramadan Diallo

A l’approche de la date fatidique du 18 octobre, les différents acteurs se préparent à livrer les dernières batailles. Alors que la candidature pour un troisième mandat du Pr Alpha Condé vient d’être confirmée et que le RPG Arc-en-ciel et alliés se livrent à une pré-campagne (à développer plus tard), la Commission électorale nationale indépendante (CENI) met les bouchées doubles pour finaliser les ultimes opérations du processus électoral. Pendant ce temps, le FNDC et les partis d’opposition en son sein sont sur le point de sceller leur divorce.

La CENI se dit quasiment prête

Le vendredi 28 août 2020, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a tenu son deuxième Comité inter-parties (CIP) dans le cadre de l’organisation de l’élection présidentielle du 18 octobre prochain. Les échanges ont porté sur :

  • l’état d’avancement du traitement des données au niveau du site central après la révision exceptionnelle des listes électorales;
  • les résultats de la mise en place des démembrements et des Commissions administratives d’établissement et de révision des listes électorales (CAERLE);
  • le manuel de transparence des opérations électorales;
  • le guide du candidat à l’élection présidentielle.

Les indicateurs de progression fournis par l’institution en charge de l’organisation des élections semblent plutôt rassurants. Avec plus de 6,5 millions d’électeurs enregistrés dans l’actuel fichier électoral, l’opération de révision exceptionnelle pour le compte de 2020 concerne plus de 2,4 millions d’électeurs, mis de côté lors du scrutin législatif du 22 mars dernier. D’après Marie Hélène Sylla, co-directrice du département Démembrements de la CENI, les membres des démembrements ont été reconduits par une décision du Président de la CENI, après l’aval de la Cour constitutionnelle.

Ainsi, on a 38 Commissions électorales communales indépendantes (CECI) pour 804 membres, 33 Commissions électorales préfectorales indépendantes (CEPI) pour 339 membres et 307 Commissions électorales sous-préfectorales indépendantes (CESPI) pour 3773 membres et 79 assistants techniques au niveau des 33 Commissions électorales préfectorales indépendantes (CEPI). La CENI a installé 4914 membres dont 4536 hommes et 378 femmes. Ils ont été formés et ont prêté serment.

Pour la révision exceptionnelle des listes électorales, la CENI a installé 2000 Commissions administratives d’établissement et de révision des listes électorales (CAERLE) pour 10 000 membres dont 9394 hommes et 606 femmes. Le total des anciens membres qui ont été reconduits était de 8865 et le total de nouveaux membres était de 984. Le nombre de membres formés était de 6108.

La directrice du département du Fichier électoral de la CENI, Djenabou Touré, a annoncé qu’il y a eu des «améliorations» de la «Solution DIAMA». Il s’agit du logiciel d’enrôlement des électeurs conçu par la CENI à travers son opérateur international Innovatrics en 2019. Après les défaillances détectées lors de l’enrôlement de 2019, l’institution en charge de l’organisation des élections a demandé à l’opérateur technique d’améliorer son dispositif d’enrôlement des électeurs. La version 2 de la «Solution DIAMA» est alors proposée. L’une des nouveautés tient à la mise en place de l’ABIS, appelée encore solution de dédoublonnage faciale. Cette solution serait déjà appliquée avec succès sur la base existante, c’est-à-dire sur les 5 millions et quelques électeurs déjà enregistrés.

De même que le dédoublonnage des nouvelles inscriptions de l’enrôlement de 2020, rassure la Directrice du département Fichier électoral de la CENI. Le transfert des électeurs serait dans le même sillage à 90% d’exécution ; la radiation des électeurs décédés, à 85% ; la détection des présumés mineurs dans la base de données, à 80%.

Pour un état de la situation sur le traitement des données au niveau du site central après la révision exceptionnelle des listes électorales, la directrice du département du Fichier électoral s’est abstenue de donner des chiffres le temps pour la Mission de la CEDEAO d’inspecter le fichier et fournir son rapport.

Une rencontre spéciale qu’elle a dénommée « rendez-vous des statistiques finales» viendra prochainement éclairer cette opération très attendue et déterminante du processus électoral. La génération et l’impression des cartes d’électeur, des listes électorales définitives, ainsi que des listes d’émargement, reste également suspendue à l’opération de proclamation des statistiques finales et du contrôle préalable des experts de la CEDEAO.

Par ailleurs, dans son communiqué No004 du 28 août 2020 et en application des dispositions de l’article 157 du Code électoral, relatif à la déclaration de candidature, la CENI a rappelé aux partis politiques désireux de présenter des candidats à l’élection présidentielle du 18 octobre prochain, les conditions à remplir. Entre autres, il s’agit de:

  • la présentation de la candidature par un parti ou une coalition de partis légalement constitué(s);
  • le dépôt des dossiers au greffe de la Cour constitutionnelle entre le 19 août et le 8 septembre 2020;
  • l’acquittement de la caution de 800 millions GNF (soit un peu plus de 45 millions de FCFA), sachant que le plafond des dépenses de campagne est fixé à 20 milliards GNF (soit environ 1 milliard 141 millions FCFA).

Les partenaires techniques et financiers favorables à un scrutin crédible et paisible

Dans un communiqué en date du 17 août 2020, l’Ambassade des Etats-Unis en Guinée a indiqué «qu’il revient en définitive aux Guinéens de décider de l’avenir de leur pays, une décision qui devrait être prise par le biais d’un processus consultatif, libre, équitable et transparent […] Les États-Unis exhortent toutes les parties à s’abstenir de la violence, à promouvoir la responsabilité, à s’engager dans le dialogue en vue de trouver des solutions pacifiques à leurs différends politiques».

La Mouvance et l’Opposition interprètent chacune en sa faveur le contenu du communiqué. Quoiqu’il en soit, la position de Washington réitère la nécessité de passer par des scrutins libres et transparents pour la succession au pouvoir et de privilégier dans tous les cas le dialogue à la violence pour le règlement des différends entre les acteurs.

Dans un communiqué en date du 17 août 2020, l’Ambassade des États-Unis en Guinée a indiqué «qu’il revient en définitive aux Guinéens de décider de l’avenir de leur pays, une décision qui devrait être prise par le biais d’un processus consultatif, libre, équitable et transparent

Le 26 août dernier, un communiqué du Président de la CENI, Kabinet Cissé, a informé l’ensemble des acteurs du processus électoral de l’arrivée d’une mission d’appui technique de la CEDEAO auprès de son institution. Composée de trois experts, cette mission a pour but d’assister la CENI dans l’assainissement de la base de données et la consolidation des données en vue d’un processus électoral transparent, équitable et professionnel.

Avant toute communication de statistiques sur le fichier électoral et les listes, la CENI tient à ce que se fassent au préalable les vérifications et les validations de la CEDEAO. Puisque, dans la suite logique des opérations déjà menées, les statistiques finales seront suivies de la génération et l’impression des cartes d’électeur, des listes électorales définitives et des listes d’émargement.

L’opposition et le FNDC: l’heure du divorce?

Pendant ce temps, le divorce entre l’opposition républicaine et le FNDC ne semble plus pour longtemps, au regard de ce qui se dessine. Une séparation qui viendrait conforter les sceptiques qui ont toujours vu d’un mauvais œil cette union. La société civile et les partis d’opposition ont certes en commun de vouloir empêcher toute nouvelle candidature du Président sortant, Alpha Condé, après ses deux mandats consécutifs. Mais visiblement leurs agendas ne se recoupent pas sur toute la ligne.

Les partis politiques, du moins certains d’entre eux, ne souhaitent plus jouer la politique de la chaise vide, comme ce fut le cas lors des législatives du 22 mars dernier. Le leader du Parti des Démocrates pour l’Espoir (PADES), Ousmane Kaba et celui du Rassemblement guinéen pour le développement (RGD) de Maître Abdoul Kabèlè Camara, ont déjà confirmé leur participation au prochain scrutin présidentiel. Peu importe que le Président sortant participe ou pas.

L’UFDG de Cellou Dalein Diallo, principal parti de l’opposition, a pour sa part lancé depuis quelques jours des consultations auprès de sa base en vue d’une éventuelle participation au scrutin. La décision officielle du parti a tardé à tomber, mais le chef de file de l’opposition est finalement candidat au scrutin présidentiel. Cette participation contraste tout de même avec l’épineuse question sans cesse soulevée sur l’illégitimité et l’illégalité de la candidature du Président Alpha Condé. Mais aussi et surtout celle du fichier électoral soupçonné d’être corrompu.

Sur les récentes opérations de révision exceptionnelle des listes électorales, l’UFDG n’a pas manqué de formuler de nouvelles critiques: au-delà du manque d’engouement devant les CAERLE, de nombreux citoyens ont constaté que leur nom ne figure pas dans le fichier, selon le Secrétaire fédéral du parti à Ratoma. Cette situation concernerait l’essentiel des fiefs de l’opposition, notamment l’UFDG.

L’UFDG de Cellou Dalein Diallo, principal parti de l’opposition, a pour sa part lancé depuis quelques jours des consultations auprès de sa base en vue d’une éventuelle participation au scrutin. La décision officielle du parti a tardé à tomber, mais le chef de file de l’opposition est finalement candidat au scrutin présidentiel

Il faut par ailleurs souligner le risque d’affaiblissement considérable du FNDC par la participation de ses partis membres, notamment l’UFDG, au prochain scrutin présidentiel. En effet, si le Front maintient sa position, les partis candidats au scrutin devront le quitter.  Or, il n’est un secret pour personne que ce sont les militants des partis qui viennent gonfler les rangs du Front. On pourrait même s’attendre à des tensions entre les militants des partis dissidents pro-scrutin présidentiel et les partisans du Front, opposés à un troisième mandat d’Alpha Condé.

 

Crédit photo : www.afrik.com

Ramadan Diallo

 

Ramadan Diallo, de nationalité guinéenne, est docteur en Science politique et enseignant-chercheur à l’Université de Lyon (France) et à l’Université de Sonfonia-Conakry (Guinée). Il est également consultant sur les problématiques de démocratisation et des enjeux identitaires en Afrique. Il collabore avec WATHI sur le projet Guinée Politique.

Commenter