Appui à la protection sociale en République de Guinée : Etude des effets du projet « Santé pour Tous » 2002-2019, Institut de recherche sur le travail et la société, Décembre 2019

Appui à la protection sociale en République de Guinée : Etude des effets du projet « Santé pour Tous » 2002-2019, Institut de recherche sur le travail et la société, Décembre 2019

Auteurs : Bénédicte Fonteneau et Papa Senghane Gningue

Organisation affiliée : Institut de recherche sur le travail et la société, Décembre 2019

Type de publication : Rapport

Date de publication : Décembre 2019

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Introduction

Le projet Santé Pour Tous intervient en Guinée depuis 2002 pour contribuer au développement des mutuelles de santé dans la région du Fouta-Djalon et au renforcement des acteurs impliqués dans cette dynamique. Le projet intervient dans les régions administratives de Labé et Mamou et s’est étendu dans sa phase actuelle à la région de Kindia. Le projet est également actif au niveau national et contribue, en concertation avec des acteurs du mouvement mutualiste, de la protection sociale et de la santé, au dialogue et au plaidoyer envers les autorités nationales.

Rappels sur la protection sociale et les mutuelles de santé en Afrique

Au début des années 2000, la question de la protection sociale est revenue à l’agenda des agences internationales et des préoccupations politiques de certains gouvernements, y compris de pays à faibles revenus. En matière d’accès à la santé, cette préoccupation a été renforcée par le concept de couverture sanitaire universelle développée par l’OMS à partir de 2005 et maintenant partie intégrante des objectifs de développement durable.

En Afrique subsaharienne, la question de la protection sociale en santé est particulièrement aigüe. En effet, les régimes existants de sécurité sociale ne couvrent (de manière limitée) que les personnes travaillant dans le secteur privé formel ou dans la fonction publique. Or, plus de 80% de la population active tire son revenu d’une activité exercée dans l’économie informelle.

Dès la fin des années 1990, un ensemble d’acteurs de la société civile africaine accompagnée par des ONG étrangères, des structures mutualistes européennes et des programmes de développement (menés par des agences bilatérales et multilatérales) a développé des initiatives visant à fournir à des personnes travaillant dans l’économie informelle des services d’assurance maladie.

En Afrique francophone, ces assurances maladie ont pour la plupart pris la forme de mutuelles de santé, caractérisées par un non sélection des adhérents, une finalité non lucrative et une prise de décision participative (par des personnes élues par les adhérents).

Les régimes existants de sécurité sociale ne couvrent (de manière limitée) que les personnes travaillant dans le secteur privé formel ou dans la fonction publique. Or, plus de 80% de la population active tire son revenu d’une activité exercée dans l’économie informelle

La mise en place et le fonctionnement de mutuelles de santé implique donc la concertation, la reconnaissance mutuelle et la confiance entre des acteurs de nature très différente (allant d’individus à des autorités nationales ou des agences internationales en passant par les structures mutualistes elles-mêmes).

Malgré un scepticisme croissant de la part de nombreux académiques et bailleurs de fonds internationaux (privilégiant des mécanismes d’assistance sociale envers les plus pauvres ou des politiques de gratuité envers certains groupes de la population), les mutuelles de santé continuent de faire partie des stratégies nationales de protection sociale en Santé dans plusieurs pays d’Afrique francophone et anglophone.

Evolution des acteurs et analyse de la contribution du projet

L’un des principes et axes d’action d’ESSENTIEL et du projet SPT est de soutenir l’accès aux soins de santé par le développement de mutuelles de santé et l’appui à des acteurs guinéens à même de pérenniser la dynamique et le mouvement mutualiste.

Evolution des acteurs étatiques

La Guinée est dotée depuis 1994 d’un décret réglementant la mutualité sociale (Décret D/94/090). Mais ce décret n’est jamais entré en vigueur notamment car sa formulation, tirée du code français, nécessitait une adaptation au contexte guinéen, une simplification et la promulgation de textes d’application (Ministère des Affaires Sociales, 2003, p.1) (Fonteneau et al, 2003).

La politique nationale de protection sociale identifie huit actions prioritaires sur le plan législatif et réglementaire dont trois concernent les mutuelles de santé. Nous les reprenons ci-dessous (PNPS, 2016, 64-65) :

Doter la mutualité sociale d’un cadre juridique et de financement approprié ;

  • « Étant donné l’importance du rôle social des mutuelles qui consiste, à fournir une couverture maladie à une partie de la population, et compte tenu du déficit observé en Guinée après l’épidémie d’Ébola, l’amélioration du cadre législatif et de la réglementation en faveur de développement des mutuelles est très souhaitable ».
  • « L’amélioration du cadre législatif et règlementaire portera plus spécifiquement sur l’action facilitatrice de l’État, tant au plan organisationnel qu’au plan opérationnel. Il s’agira en outre d’introduire la législation des mécanismes financiers et règlementaires d’appui au développement des mutuelles de santé, afin de remédier au faible appui de l’État et des collectivités locales ».

Instituer un Fonds d’appui et de garantie des mutuelles sociales ;

  • « Il s’agit d’instituer un Fonds d’appuis dont la vocation consistera à appuyer le développement des mutuelles de santé et d’assurer la mise en œuvre et le suivi des politiques de subvention et de gratuité. Ce faisant, les mutuelles de santé pourront offrir des prestations complémentaires à la population ».
  • « Ce Fonds pourrait accorder des subventions aux mutuelles de santé remplissant certaines conditions dont le taux de couverture de la population des ruraux et du secteur informel, la qualité des prestations, la gestion attestée par le respect des indicateurs et ratios fixés, etc. ».

Créer un dispositif de contrôle et de régulation de la mutualité sociale.

  • « Il s’agit de créer un dispositif de contrôle et de régulation par l’Etat, des systèmes d’assurance sociale non obligatoire. Ce sera un organe de régulation de la mutualité sociale qui serait également chargé de la supervision de la gestion du Fonds de garantie des mutualités sociales ».

La récente politique nationale de protection sociale (2016-2021) indique des éléments positifs en faveur d’un engagement de l’Etat dans le développement des mutuelles de santé dont certains (Projet de loi sur la mutualité sociale) ont déjà progressé. L’intérêt plus limité du Ministère de la santé par rapport aux mutuelles de santé est plus préoccupant, considérant le rôle déterminant que ce dernier pourra jouer dans l’amélioration de la qualité des soins ainsi que dans le dialogue et le conventionnement avec les structures mutualistes.

Evolution des acteurs appuyés et analyse de la contribution du projet

L’évolution des acteurs directement appuyés par le projet SPT sera abordée dans l’ordre suivant : les mutuelles de santé, l’ONAM, le REMUFOUD, FMG et PPSOGUI.

Les mutuelles de santé

Manque d’appropriation de la gestion. La gestion des mutuelles (tenue des registres, adhésion) est actuellement essentiellement assurée par les Assistants Techniques aux Mutuelles (ATM) de l’ONAM et non par les élus. Ces derniers se voient remettre mensuellement par les ATM une fiche reprenant la situation de la mutuelle en termes d’adhésion.

Manque de visibilité et d’accessibilité des mutuelles. Malgré l’existence de sièges physiques, les mutuelles continuent à manquer de visibilité et d’accessibilité permanente. Les sièges ne sont occupés qu’au moment de certaines activités (par les élus et/ou les ATM) mais ne constituent pas une porte d’entrée permanente pour les adhérents ou des personnes voulant adhérer.

La récente politique nationale de protection sociale (2016-2021) indique des éléments positifs en faveur d’un engagement de l’Etat dans le développement des mutuelles de santé dont certains (Projet de loi sur la mutualité sociale) ont déjà progressé. L’intérêt plus limité du Ministère de la santé par rapport aux mutuelles de santé est plus préoccupant, considérant le rôle déterminant que ce dernier pourra jouer dans l’amélioration de la qualité des soins ainsi que dans le dialogue et le conventionnement avec les structures mutualistes

Faible efficacité et manque d’appropriation de la mobilisation sociale. Des moments de mobilisation sociale sont organisés et impliquent les membres des commissions de mobilisation sociale (CMS). Toutefois, l’action de ces CMS reste fortement liée aux activités (« sorties », formations) prévues et financées par le projet SPT et semblent systématiquement encadrées par les ATM de l’ONAM.

L’ancrage local des mutuelles semble toujours assez limité, sans liens structurels avec les collectivités locales/mairies ou d’autres institutions (y compris les centres de santé). Ce constat est paradoxal car certains élus des mutuelles ont par ailleurs d’autres responsabilités au niveau local.

Organisation Nationale d’Appui à la Mutualité (ONAM)

L’Organisation Nationale d’Appui à la Mutualité (ONAM) est une “association à but non lucratif ayant pour mission de favoriser le développement social et économique des populations guinéennes par leur meilleur accès à une santé de qualité dans un environnement sain”. Le processus de création de l’ONAM a démarré en 2009 par l’équipe guinéenne en charge du projet SPT avec l’appui d’ESSENTIEL afin de contribuer au développement d’une “expertise locale autonome en matière d’appui et de conseil à la mutualité en Guinée”. L’autonomisation de l’ONAM a été appuyée par le projet SPT depuis 2011.

Le Réseau des Mutuelles du Fouta-Djalon (REMUFOUD)

Durant la phase 2013 à 2016, le REMUFOUD a créé un fonds de garantie pour couvrir les éventuelles défaillances financières des mutuels membres. Ce fonds de garantie existe et est, selon les élus, toujours alimenté par les mutuelles (5% de cotisations par an). Toutefois, le fonds de garantie a été utilisé deux fois jusqu’à présent (en 2016) et il semblerait que les mutuelles n’aient pas payé leur contribution en 2019. Seuls les intérêts bancaires générés sont utilisés pour couvrir des dépenses de rencontres trimestrielles.

Réseau des Promoteurs de la Protection Sociale en Guinée (PPSOGUI)

Le fonctionnement et la gouvernance de PPSOGUI sont difficiles depuis sa création (communication interne entre le CA et les membres, concurrence entre certains membres par rapport à la mise en œuvre de projets). En termes de construction d’une vision commune sur la protection sociale, l’hétérogénéité de la composition des membres de PPSOGUI semble plus constituer un frein qu’un facteur favorable. Les préoccupations sont différentes en raison des réalités représentées par chaque membre.

Conclusion

Le projet SPT a œuvré à la naissance de nouveaux acteurs pouvant, en théorie, agir de manière autonome, mais étant toujours fragiles institutionnellement et techniquement, en raison de capacités encore à renforcer mais aussi d’un développement à opérer en dehors de la seule logique du projet SPT. A des niveaux divers, le projet a également contribué au développement de domaines concrets inhérents à l’extension de la protection sociale et à la réalisation de la couverture sanitaire universelle.

Dynamiques d’adhésion aux mutuelles de santé

Cette analyse se fera principalement à partir de deux sources d’informations : les données issues du Système d’Information et de Gestion pour l’analyse quantitative et les données issues des enquêtes conduites durant l’étude auprès d’adhérents, ex-adhérents et non-adhérents aux mutuelles de santé pour l’analyse qualitative.

Recours aux soins et appréciation de la qualité des soins

Les consultations se sont faites dans des centres de santé publics conventionnés, parfois en combinaison avec des centres de santé privés (FMG ou autre). De manière générale, les répondants adhérents relatent une expérience positive en termes d’accueil et de traitement reçu. Dans quelques cas, les répondants relèvent que tous les médicaments prescrits n’étaient pas disponibles, que les agents de santé n’étaient pas présents ou qu’ils ont été mal accueillis comme « mutualiste » (« le mutualiste n’est pas bien considéré »).

Appréciation des services de la mutuelle de santé

Les adhérents disent globalement apprécier les services de la mutuelle de santé mais émettent des plaintes concernant deux principaux problèmes : l’accueil des mutualistes et le manque de médicaments. « En cas de maladie mes enfants sont couverts et même si je n’ai pas d’argent, ils sont soignés. Mais avec la carte le centre n’accueille pas bien alors que ceux qui paient sont bien reçus car ils peuvent leur payer ce qu’ils veulent ; avec la carte ils doivent tout écrire. Parfois on est obligé d’appeler le président pour être reçu ».

« Depuis 2016 je ne suis pas satisfait car avant si tu es mutualiste tu es pris en charge avant les autres si tu montres ta carte. Maintenant si tu montres ta carte on te fait attendre et on prend celui qui est venu avec l’argent « avec sa main ». Les non mutualistes sont pris en charge et pas nous. Les médicaments qu’on nous donne sont insuffisants ; on te donne juste un peu et on te dit de revenir. Le transport qu’on paie est plus cher que le médicament. »

Connaissance sur les mutuelles et motifs de non adhésion

La principale raison invoquée par les personnes qui connaissent les mutuelles à la question de savoir pourquoi ils n’ont jamais voulu devenir membre d’une mutuelle est principalement la négligence et plus minoritairement le fait que la mutuelle n’est jamais venue à eux.

« Je suis fréquemment hors de chez moi avec les activités de terrain ; c’est une négligence de ma part. Je devrais consacrer un peu de temps pour régler cela. C’est quelque chose de bénéfique pour moi et mes enfants ».

La principale raison invoquée par les personnes qui connaissent les mutuelles à la question de savoir pourquoi ils n’ont jamais voulu devenir membre d’une mutuelle est principalement la négligence et plus minoritairement le fait que la mutuelle n’est jamais venue à eux

« La mutuelle n’est pas venue nous faire adhérer. La mutuelle ne m’a jamais proposé d’adhérer, je ne les ai jamais vus chez moi »

Analyse de la contribution du projet Santé Pour Tous par rapport à la protection sociale en Guinée

Les différentes institutions créées et appuyées dans le cadre du projet Santé pour Tous restent dans l’ensemble fragiles. Toutefois, leur mise en place et le fonctionnement a permis à un grand nombre de professionnels d’acquérir des connaissances et à développer des compétences opérationnelles en matière d’appui au fonctionnement de l’assurance maladie et des mutuelles de santé.

Le défi majeur (et le paradoxe) d’une future intervention d’ESSENTIEL est que celle-ci devrait contribuer à ce que le mouvement mutualiste s’autonomise des relations qu’il a nouées depuis son émergence avec ESSENTIEL. La formulation des objectifs et l’identification des stratégies d’une prochaine intervention devraient être guidée par ce souci

Par ailleurs, le projet a contribué à mettre en place des outils de gestion des mutuelles de santé (SIG), qui au regard de ceux existants (ou non) dans d’autres projets dans la sous-région, sont suffisamment accessibles et performants pour permettre un suivi rigoureux de l’évolution de la dynamique mutualiste.

La contribution effective du projet à l’amélioration de la qualité des soins est limitée, notamment en raison du caractère récent de stratégies visant directement l’offre de soins. Par le conventionnement entre des mutuelles de santé et des structures de soins de santé, le projet a toutefois contribué à ce que les structures sanitaires et les patients disposent d’outils permettant un dialogue autour de la qualité des soins.

Conclusion

Le projet a contribué à la création de 6 mutuelles préfectorales, d’un réseau de mutuelles, d’une structure technique d’appui aux mutuelles de santé et d’une plateforme nationale de concertation et de plaidoyer.

Les enquêtes qualitatives auprès d’ex-adhérents révèlent une insatisfaction liée au mauvais accueil et au manque de disponibilité de médicaments qu’ils ont observés dans les centres de santé conventionnés où ils ont été se faire soigner comme mutualistes. Mais ce que révèlent les ex-adhérents, c’est surtout une rupture de confiance avec les mutuelles de santé : ils pensaient qu’en adhérant aux mutuelles, celles-ci leur garantiraient une meilleure qualité des soins dans les centres de santé conventionnés.

Or, l’influence des mutuelles et du projet SPT sur la qualité des soins reste limitée. Ce constat négatif est toutefois porteur de pistes d’action pour le mouvement mutualiste et les acteurs du projet SPT, à savoir une sélection plus stricte des centres de santé avec lesquels les mutuelles passent des conventions.

Recommandations

A l’intention des Mutuelles de santé

Renforcement de l’ancrage local. Les mutuelles de santé ne semblent pas encore faire partie du paysage institutionnel local : elles sont peu connues par les populations non adhérentes et les mutuelles ne semblent pas chercher à développer des liens avec d’autres organisations, institutions et autorités locales. Or, l’avenir des mutuelles, leur visibilité et leur pérennisation dépend aussi de cet ancrage local qui peut être source de futures adhésions, de participation à des projets en lien avec les missions des mutuelles de santé et de sources additionnelles de financement.

A l’intention de PPSOGUI

Renforcer le contenu du plaidoyer. Le travail de plaidoyer de PPSOGUI devrait pouvoir bénéficier de l’apport de bases de données et d’études (existantes ou à faire réaliser) pour renforcer la capacité de propositions et d’argumentations sur la place et le rôle des mutuelles de santé dans les dispositifs nationaux de protection sociale ainsi que sur un certain nombre de préoccupations liées notamment à l’équité (couverture des populations ne disposant pas de capacités contributives) et au financement durable des politiques de protection sociale (assiette fiscale, redistribution, allocation des ressources, génération de nouvelles ressources financières, etc.).

A l’intention d‘ESSENTIEL

Le défi majeur (et le paradoxe) d’une future intervention d’ESSENTIEL est que celle-ci devrait contribuer à ce que le mouvement mutualiste s’autonomise des relations qu’il a nouées depuis son émergence avec ESSENTIEL. La formulation des objectifs et l’identification des stratégies d’une prochaine intervention devraient être guidée par ce souci.

Le recours à des dispositifs de suivi-évaluation centrés sur les changements des acteurs (comme celui développé en 2013-2014 avec HIVA en utilisant la cartographie des incidences) pourrait également contribuer à rendre centrale cette préoccupation pour les acteurs appuyés et/ou partenaires d’une future intervention.

 

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