« Avec le confinement, l’arrêt du travail, le manque d’aide financière de la part de l’État, les conditions de vie sont difficiles en France pour les étudiants guinéens », entretien avec Ibrahima Alpha Diallo, étudiant à Paris (première partie)

« Avec le confinement, l’arrêt du travail, le manque d’aide financière de la part de l’État, les conditions de vie sont difficiles en France pour les étudiants guinéens », entretien avec Ibrahima Alpha Diallo, étudiant à Paris (première partie)

Ibrahima Alpha Diallo

Les conditions de vie des étudiants guinéens en France

Les conditions de vie des Guinéens en France, en particulier des étudiants, sont relativement acceptables. Je peux dire que les anciens étudiants ont su s’adapter mais les nouveaux étudiants arrivés ont des difficultés pour s’en sortir dues à la situation pandémique actuelle.  La Covid-19 a eu pour impact les pertes d’emplois partiels pour certains anciens étudiants qui ont eu par la suite du mal à payer leur logement et d’autres frais personnels. Toutefois certains tirent leur épingle du jeu.

Des étudiants ayant fini leur cursus ont pu maintenir leur travail malgré la crise, d’autres, en tant que demandeurs d’asile, ont pu renouveler leur titre de séjour, malgré le ralentissement des services administratifs. Par contre, les nouveaux arrivants et les nouveaux demandeurs d’asile ont véritablement du mal à s’en sortir avec la situation sociale et politique qui prévaut en Europe concernant l’immigration.

Les associations des ressortissants guinéens en France et leurs actions face à la Covid-19

En tant que membre d’une association d’étudiants de mon université, je peux dire que les associations font de leur mieux pour venir en aide aux nouveaux étudiants, en allant par exemple, les accueillir à l’aéroport, en les aidant à trouver un logement, à s’intégrer administrativement au niveau de l’université et aussi à s’intégrer dans la vie sociale. Dans quasiment toutes les villes et universités, il y a une association qui regroupe les ressortissants guinéens.

A Lyon, à Lille, dans le Nord-Pas-de-Calais,  nous avons beaucoup d’étudiants guinéens, et beaucoup d’universités ou de villes ont des mouvements associatifs. Chacun essaie, selon ses réalités locales, d’aider les nouveaux arrivants et tous les autres étudiants, aussi bien en ville qu’en province.

Les nouveaux étudiants ont des difficultés pour s’en sortir , cela est dû à la situation pandémique actuelle

Comme association, nous avons la Coordination des associations guinéennes de France (CAGF) qui essaie de regrouper toutes les associations de ressortissants guinéens, afin de les coordonner mais aussi essayer de trouver des solutions pour les étudiants et tous les Guinéens en difficulté.

En matière d’activités, l’Association des jeunes guinéens de France (AJGF) a mis en place, en collaboration avec d’autres associations, une initiative qui vise à contacter tous les étudiants, par exemple ceux qui sont en difficulté, et ceux qui ont perdu leur travail faute de renouvellement du titre du séjour qui n’était pas possible à cause de la fermeture des préfectures due à la situation sanitaire. L’AJGF à travers cette initiative a pu venir en aide à certains étudiants qui avaient des difficultés financières en leur octroyant des aides financières.

Il y a aussi l’association de Lyon qui a fait pareil. Ils ont essayé de trouver une aide alimentaire à beaucoup d’étudiants guinéens de la ville. Ce n’est pas du tout évident, mais nous essayons de faire avec les moyens du bord.

Que pensent les étudiants des actions menées par ces associations ? Sont-elles jugées pertinentes et efficaces par les étudiants?

Je peux dire qu’il y a des retours positifs de la part des étudiants. Nous avons créé une association en 2017 dénommée REGN, Réseau des étudiants guinéens de Nanterre, où nous avons pu accueillir de nouveaux étudiants, des fois en les aidant dans leurs démarches Campus France. Étant inscrits à l’université de Nanterre, nous les avons aidés dans l’acquisition des attestations de logement auprès des services administratifs, dans la recherche d’emplois partiels, dans l’organisation des journées d’accompagnement pour les nouveaux arrivants, et nous recevons des retours positifs de leur part.

Il faut aussi reconnaître que le niveau d’implication n’est pas le même pour toutes les associations. Pour la plupart, aider les étudiants dans l’acquisition de logement revient à trouver un hébergement le temps qu’ils trouvent un logement avec l’accompagnement des services administratifs et autres. Les conditions de logement ne sont pas faciles ici en France et les associations n’ont pas cette collaboration avec les administrateurs locaux pour l’obtention de résidences sociales.

Il faut que les étudiants se rapprochent de ces associations pour que leurs difficultés soient connues et que des solutions leur soient apportées

Du côté des étudiants, les associations œuvrent selon les moyens mis à leur disposition et arrivent à satisfaire autant qu’elles peuvent les étudiants, même si parfois des étudiants se plaignent. Ce n’est pas toujours simple. Il faut que les étudiants se rapprochent de ces associations pour que leurs difficultés soient connues et que des solutions leur soient apportées.

Aujourd’hui, en collaboration avec l’AJGF, notre association essaie de travailler autour d’un pôle étudiant avec différentes institutions, en mettant en place des projets éducatifs par le canal de la journée de l’emploi organisée par l’AJGF, afin d’accompagner les étudiants dans la recherche d’emploi.

Que pensez-vous du soutien de l’État guinéen à l’endroit de ses étudiants en France?

A ma connaissance, l’État guinéen n’octroie aucune aide financière aux étudiants résidant en France. La seule chose que l’État guinéen pourrait faire pour ses ressortissants est d’établir une coopération forte avec l’État français. Mais malheureusement, ce n’est pas encore le cas.

A titre d’exemple,  quand nous prenons le cas de l’augmentation des frais d’inscription et de scolarité pour les étudiants extra-européens, nous, en tant qu’associations et étudiants, nous nous sommes mobilisés mais derrière, nous n’avons pas vu l’appui de nos autorités. Ni l’État guinéen ni l’ambassade de la République de Guinée en France ne se sont manifestés pour se rapprocher des responsables français et agir afin d’exonérer, un tant soit peu, les étudiants guinéens, comme cela a été le cas pour les Tunisiens et pour d’autres étudiants africains.

Lorsqu’un ressortissant guinéen voit son passeport expiré, il est obligé de se rendre en personne en Guinée pour le renouvellement, malgré ses contraintes professionnelles ou estudiantines

Récemment, ce sont des problèmes de renouvellement de passeport qui ont été soulevés. Lorsqu’un ressortissant guinéen voit son passeport expiré, il est obligé de se rendre en personne en Guinée pour le renouvellement, malgré ses contraintes professionnelles ou estudiantines. Alors que sans passeport, il est très difficile de renouveler son titre de séjour ou de faire certaines démarches.

En matière de coopération beaucoup de choses sont à revoir. Il y a certains avantages dont un Sénégalais, un Ivoirien peuvent bénéficier, alors qu’un Guinéen ne peut en bénéficier. Car le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont su mettre en place une coopération avec l’État français pour faciliter certaines démarches administratives à leurs ressortissants. En fait, nous ne demandons pas grand-chose à l’État guinéen. Nous ne demandons pas à l’ambassade de la Guinée de nous donner de l’argent. Nous demandons juste que l’on nous aide dans nos démarches administratives en établissant des accords de coopération avec la France.

 Quel soutien les autorités guinéennes ont-ils apporté à leurs ressortissants durant la période de la Covid-19?

Je connais beaucoup de Guinéens qui ont perdu leur emploi à cause de cette crise sanitaire parce que tout simplement ils n’ont pas pu renouveler leurs titres de séjour. Cette situation aurait pu être évitée si les autorités en place, notamment l’ambassade de la Guinée, avaient mis en place un cadre institutionnel de coopération avec les autorités françaises comme l’ont fait certains autres États africains.

Avec le confinement, sans travail, sans aide financière de la part de l’État, les conditions de vie sont difficiles. Même pour les étudiants où l’on espérait un soutien financier de la part de l’État guinéen, rien n’a été fait, à ma connaissance.

Quelles seraient les attentes des étudiants vis à vis des autorités guinéennes ?

Des initiatives sont en cours de réalisation. La CAGF et l’AJGF se sont rapprochées de l’ambassade pour discuter de la mise en oeuvre de certains projets. Mais au-delà de tout ceci, l’État guinéen doit en général revoir son mode de délivrance de certains documents, en particulier les actes d’état civil.

En 2018, un article jetait le discrédit sur la fiabilité des documents civils guinéens qui faisaient l’objet de nombreuses fraudes. Ceci pénalise la diaspora guinéenne. Lorsque parfois vous déposez un justificatif de naissance, il arrive que l’on vous demande, comment vous l’avez obtenu et que l’on vous refuse le titre de séjour. L’État guinéen doit redoubler d’efforts dans ce sens en faisant en sorte que partout où ira un Guinéen, que ses documents soient considérés comme fiables.

Concernant l’ambassade de la République de Guinée en France, elle devrait chercher à collaborer avec les associations présentes pour mieux appréhender les problèmes des citoyens guinéens. Elle devrait également se rapprocher de la structure Campus France afin de recenser le nombre d’étudiants pour anticiper sur les difficultés des étudiants à venir en matière de logement, d’insertion professionnelle et d’intégration.

Quels conseils pour la jeunesse guinéenne au pays qui rêve de partir un jour d’aller étudier en France?

En étant en France, il nous est, des fois, très difficile de conseiller les jeunes restés au pays. Tout comme nous aussi, avant de venir nous confronter aux réalités de la France, ces jeunes ne croient pas à ce que nous leur racontons face à ce qui leur est montré à la télévision.

Je dirai aux jeunes d’étudier encore plus, de rechercher des formations certifiantes qu’ils pourront valoriser en venant ici en France. Pour ceux qui ne peuvent pas étudier ou faire de longues études pour une raison ou une autre, je leur demanderai de se tourner vers les centres de formation professionnelle et technique.

Il faut aussi déconstruire ce complexe où celui qui est parti à l’étranger étudier est meilleur que celui qui est resté au pays. Beaucoup de jeunes n’ont pas eu cette opportunité de voyager à l’étranger pour poursuivre leurs études mais ils subviennent dignement aux besoins de leurs familles, en travaillant, en créant des entreprises. L’État s’implique à travers la sensibilisation pour décourager la migration des jeunes mais cela est insuffisant. En plus de la sensibilisation, il faut aussi des programmes concrets d’accompagnement et d’insertion professionnelle des jeunes.


Crédit photo : nouvelledeguinee.com

Ibrahima Alpha Diallo

 

Ibrahima Alpha Diallo est originaire de Mamou, une ville de la Guinée. Il est diplômé en Science politique à l’Université de Paris Nanterre.

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