Guinée : la croissance par les mines, une vision erronée du développement

Guinée : la croissance par les mines, une vision erronée du développement

Lamine Sidibé

Dans les vastes forêts équatoriales du nord Kivu, en passant par le Delta du Niger au Nigéria, jusqu’au cœur du Sahel tchadien, les modèles économiques dominés par l’exploitation massive des ressources naturelles (pétroles, gaz et minéraux) s’illustrent par la défaillance et l’injustice créées par l’inégalité profonde qui caractérise les systèmes rentiers en Afrique.

Ce système qui tire ses origines de la période coloniale est devenu de nos jours la principale architecture économique de la majeure partie des pays africains, dont la Guinée est pleinement partie prenante depuis 2015. Elle connaît en effet un boom minier depuis 2015 suite à la réforme engagée par le gouvernement dans ce secteur qui a fait d’elle la destination privilégiée des investissements miniers en Afrique.

En 2019, l’Institut Fraser classait, dans son rapport, la Guinée comme étant la « meilleure » destination pour les investissements miniers en Afrique. Ce pays ouest-africain bien doté en gisement de bauxite, dont les réserves dépassent les 40 milliards de tonnes est également le premier exportateur de l’or rouge sur le continent, avec une production annuelle de 70,2 millions de tonnes en 2019.

Cependant, l’orientation des politiques économiques vers l’exploitation massive des ressources naturelles (minières, forestières), dans laquelle les entreprises opérantes versent des milliards de nos francs qui viennent remplir les poches d’une élite proche du pouvoir, symbolise l’aggravation des inégalités dans notre pays ainsi que la fragilité du modèle actuel de développement.

En 2019, l’Institut Fraser classait, dans son rapport, la Guinée comme étant la « meilleure » destination pour les investissements miniers en Afrique. Ce pays ouest-africain bien doté en gisement de bauxite, dont les réserves dépassent les 40 milliards de tonnes est également le premier exportateur de l’or rouge sur le continent, avec une production annuelle de 70,2 millions de tonnes en 2019

Toutefois, nous savons que le basculement vers une économie rentière crée par excellence une instabilité budgétaire due principalement à la volatilité du prix des matières premières sur les marchés mondiaux. A l’évidence, cette dépendance vis-à-vis des produits de base entraîne une forte surévaluation de la monnaie qui à son tour occasionne une stigmatisation des exportations en faveur des importations.

« Le secteur minier a absorbé à lui seul entre 2015 et 2020, 6,2 milliards USD d’Investissements directs étrangers (IDE) soit 97 % du total des investissements réalisés sur la période 2011 et 2020 »

Ainsi, dans la logique du gouvernement guinéen, la diversification de l’économie passe par l’accroissement des structures de production des matières premières, ce qui signifie plus d’octrois de permis aux compagnies privées et moins de contraintes environnementales. D’ailleurs, le secteur minier a absorbé à lui seul entre 2015 et 2020, 6,2 milliards USD d’Investissements directs étrangers (IDE) soit 97 % du total des investissements réalisés sur la période 2011 et 2020. Cette hausse des investissements dans le domaine extractif justifie l’évolution du nombre de sociétés en exploitation, qui était de six (6) en 2010 est passé à dix-sept (17) en 2020, selon le ministère des Mines de Guinée.

Pourtant, l’impact de l’évolution des investissements et l’abondance des recettes minières (391 millions USD entre 2010 et 2020) peine à se transformer en une véritable source de création de richesse et un moyen de diversification de l’économie due à la mauvaise utilisation des fonds publics. En outre, le cadre institutionnel n’est visiblement pas favorable pour un contrôle approfondi sur la gestion des recettes tiré du secteur extractif.

Le secteur minier a absorbé à lui seul entre 2015 et 2020, 6,2 milliards USD d’Investissements directs étrangers (IDE) soit 97 % du total des investissements réalisés sur la période 2011 et 2020

Avec des successions de crises politiques, notamment la crise post-électorale d’octobre 2020 suivie des émeutes et une paralysie des activités économiques, qui polluent sans cesse l’environnement socioéconomique et l’absence d’un véritable contre-pouvoir dans la nouvelle assemblée constituante, les attentes en matière de gestion et de transparence sont quasi inexistantes.

Sortir de la miniature rentière

Face à une croissance démographique galopante, ainsi que l’exacerbation du phénomène climatique auxquelles la République de Guinée est confrontée, l’harmonisation de l’activité minière avec les objectifs du développement durable devient un impératif pour les pouvoirs publics, afin de réaliser la promesse de réduction de la pauvreté et de lutter sévèrement contre les inégalités à l’horizon 2030.

En Guinée, 62% de la population vivent de l’agriculture et ce secteur constitue 32% des emplois directs du pays, alors que le secteur minier ne procure que 5% du total d’emploi à l’échelle nationale, d’où la nécessité d’ajuster les aides publiques au développement en faveur du secteur agricole dont dépend le pouvoir économique d’un nombre important de la population rurale.

En outre, d’après le ministère du Plan et du développement économique, la baisse des exportations des minerais de bauxite due au ralentissement de la demande des produits miniers en Chine, berceau de la pandémie du COVID-19 a engendré un déficit de la balance de paiement de 14,7% du PIB en 2020 contre 8,4% du PIB en 2019.

Ce scénario peu enchantant interpelle les pouvoirs publics à diversifier les marchés d’exportation des métaux et minéraux en provenance de la Guinée, et à créer les chaînes de valeurs visant la transformation des produits agricoles de base et produits miniers afin d’accroître la valeur ajoutée et la création d’emploi à l’échelle nationale. Cela permettra à l’économie guinéenne d’avoir une croissance durable, et de résister aux chocs exogènes.

62% de la population vivent de l’agriculture et ce secteur constitue 32% des emplois directs du pays, alors que le secteur minier ne procure que 5% du total d’emploi à l’échelle nationale

L’un des éléments importants consiste également à améliorer la qualité des institutions par le renforcement du dispositif de contrôle des parlementaires et des acteurs de la société civile dans la gestion transparente des rentes tirées du secteur extractif, et réduire progressivement le poids des recettes minières dans le budget national de développement en mettant en place des politiques orientées vers d’autres secteurs clés, notamment l’agriculture, la pêche, l’élevage, l’économie numérique, etc.

Enfin, s’impose la nécessité de mettre en place un fonds intergénérationnel pour les générations futures afin qu’elles puissent bénéficier des fruits des gisements qui ne sont par nature ni durables ni renouvelables.


Crédit photo : africaintelligence.fr

Lamine Sidibé

 

Lamine Sidibé est étudiant en Master 2, option gouvernance et gestion des impacts des activités extractives en Afrique.

Commenter