Guinée : “La honte doit changer de camps : Garantir les Droits et la Justice pour les victimes de violences sexuelles en Guinée”, Amnesty International, Septembre 2022

Guinée : “La honte doit changer de camps : Garantir les Droits et la Justice pour les victimes de violences sexuelles en Guinée”, Amnesty International, Septembre 2022

Auteurs : Amnesty International

Site de la publication : Amnesty International

Type de publication : Rapport

Date de publication : 27 septembre 2022

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.

 


 

Résumé exécutif

Les violences sexuelles sont une problématique importante en Guinée. Le pays est connu pour être le deuxième en Afrique à pratiquer le plus les mutilations génitales féminines. Les mariages forcés y sont aussi très nombreux. Le viol est resté longtemps un sujet tabou et moins documenté, mais la parole se libère depuis quelques années, sous l’impulsion de femmes et d’organisations de la société civile.

En novembre 2021, la mort de M’mah Sylla, victime de viols, a choqué la Guinée. Les réseaux sociaux et les médias traditionnels ont disséminé l’information, des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes pour dénoncer l’impunité des auteurs, et les plus hautes autorités de l’État ont appelé à l’accélération de l’enquête judiciaire. Six ans plus tôt déjà, en 2015, « l’affaire Tamsir Touré » – un membre d’un groupe de rap accusé de viol – avait suscité la colère des organisations de défense des droits des femmes, et poussé les autorités à prendre des engagements en matière de lutte contre les violences sexuelles.

Entre temps les plaintes pour viol recensées par les forces de défense et de sécurité ont augmenté, mais il n’existe toujours pas de données globales permettant d’analyser l’ampleur des crimes commis, leurs causes et les moyens de lutter contre ceux-ci. L’Observatoire national de lutte contre les violences basées sur le genre (VBG), structure censée notamment centraliser les données sur ces violences, se met tout juste en place 10 ans après sa création officielle par arrêté. Les principales statistiques disponibles sont celles des deux unités en charge de la lutte contre les VBG au sein de la police et de la gendarmerie, celles de la médecine légale et celles collectées lors d’enquêtes nationales.

En 2020 plus de 75% des plaintes pour viol enregistrées par l’Oprogem concernaient des mineures et près de 70% des auteurs étaient majeurs. Les données de la BSPPV montrent que 33% des viols et agressions sexuelles enregistrés en 2021 l’ont été sur des victimes de moins de 13 ans.

L’augmentation du nombre de plaintes auprès de la police et de la gendarmerie est la conséquence d’un début de « libération de la parole » accompagné par le dynamisme des organisations guinéennes de défense des droits des femmes, par l’action grandissante de l’Oprogem et de la BSPPV respectivement créés en 2009 et 2020, et par la publicité donnée à certaines condamnations. Toutefois les différents acteurs qui travaillent sur la lutte contre les violences sexuelles estiment que les plaintes ne représentent très probablement qu’une infime partie du total des viols commis, tant le silence demeure la règle au sein de certaines familles, dans une société patriarcale où la coutume continue parfois d’outrepasser les lois de la République.

Les violences sexuelles en Guinée

Comme l’indique un rapport des Nations unies de 2016 sur les violences sexuelles dans le pays, « les femmes en Guinée font l’objet de diverses formes de violence, de discrimination et d’injustice en raison de la persistance de préjugés socioculturels. Les mariages forcés et précoces, les violences conjugales, ainsi que les violences sexuelles, constituent les formes les plus récurrentes de violence envers les filles et les femmes dans le pays. D’autres formes de discriminations se manifestent dans l’accès à l’éducation, aux moyens de production, au crédit, et aux postes de décision dans l’administration publique et les entreprises privées. »

Néanmoins, malgré les efforts déployés sur le renforcement du cadre juridique, la mise en œuvre effective de ces mesures et reformes reste faible en raison de l’absence de mécanismes institutionnels, d’outils opérationnels fonctionnels et du défaut de sensibilisation et d’implication de la population. Ceci s’explique en partie par les défis lies à la coexistence du système juridique avec des coutumes et pratiques traditionnelles et religieuses discriminatoires

La République de Guinée a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des Femmes (CEDAW) en 1982, et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples sur les droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) en 2012. Elle s’est dotée de certaines dispositions légales et de politiques et stratégies nationales touchant à la problématique des droits des femmes en général, celle des violences sexuelles et des violences basées sur le genre en particulier.

Ainsi en 2017, la Guinée s’est dotée d’une nouvelle Politique Nationale sur le Genre. En 2019, elle a adopté une stratégie nationale pour la promotion de l’abandon des mutilations génitales féminines et une loi sur la parité́. La même année, le nouveau code civil a enregistré́ certaines avancées en matière de droits des femmes comme la reconnaissance de l’autorité́ parentale aux deux parents et la possibilité́ pour les femmes de choisir leur profession sans avoir l’autorisation de leur mari. Et en 2020, une nouvelle constitution a consacré la parité comme un objectif politique et social.

Néanmoins, malgré́ les efforts déployés sur le renforcement du cadre juridique, la mise en œuvre effective de ces mesures et reformes reste faible en raison de l’absence de mécanismes institutionnels, d’outils opérationnels fonctionnels et du défaut de sensibilisation et d’implication de la population. Ceci s’explique en partie par les défis lies à la coexistence du système juridique avec des coutumes et pratiques traditionnelles et religieuses discriminatoires.

La pratique des mariages précoces et forces est toujours une réalité́, avec près de 60% des filles mariées avant 18 ans. Dans certaines régions du pays, comme la Haute Guinée, la Moyenne-Guinée et la Guinée Forestière, le taux de prévalence des mariages précoces est supérieur à 70% : près du double de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (37%). De plus, 92% des femmes de 15 à 64 ans ont subi une forme quelconque de violence depuis l’âge de quinze ans, selon une enquête de 2016.

D’après les statistiques de l’UNICEF, malgré la législation en vigueur et les efforts de sensibilisation, la République de Guinée se tient au deuxième rang mondial après la Somalie concernant la prévalence des pratiques de MGF/E, avec 97 % des filles et femmes excisées. 

Le Comité des droits de l’Homme des Nations unies et le Comité́ des droits économiques, sociaux et culturels ont fait part respectivement en 2018 et 2020, dans leurs observations finales sur les rapports de l’État, de leurs vives préoccupations s’agissant du caractère largement répandu des violences sexuelles.

Parmi les violences sexuelles, le viol est resté longtemps un sujet tabou et moins documenté, mais la parole se libère depuis quelques années, sous l’impulsion de femmes et d’organisations de la société́ civile.

 

 

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