Intégration de la santé mentale dans les centres de santé communautaires en Guinée Conakry, SFSP, Mars 2019

Intégration de la santé mentale dans les centres de santé communautaires en Guinée Conakry, SFSP, Mars 2019

Auteurs : Abdoulaye Sow, Monique Van Dormael, Bart Criel et Myriam de Spiegelaere

Organisation affiliée : Société Française de Santé Publique (SFSP)

Type de publication : Papier de recherche

Date de publication : Mars 2019

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Introduction

En Guinée, l’accès aux soins de santé mentale est extrêmement préoccupant : le pays compte cinq psychiatres et 38 lits d’hospitalisation pour douze millions d’habitants ; l’offre effective de soins se limite au service de psychiatrie de l’hôpital universitaire et à cinq centres de santé ayant intégré la santé mentale. Dans ce contexte, les guérisseurs traditionnels restent le principal recours pour les personnes présentant des troubles mentaux : leur disponibilité leur permet d’accueillir les malades et leurs

familles, et les traitements à base de plantes, de talismans ou autres pratiques occultes peuvent constituer des réponses pertinentes ; leur efficacité est toutefois limitée pour les pathologies psychiatriques les plus invalidantes.

La Guinée peut se comparer à d’autres pays d’Afrique subsaharienne en termes de déficit en personnel. Par contre, l’expérience d’intégration de la santé mentale dans cinq centres de santé constitue une expérience atypique antérieure au mhGAP. Alors que la première ligne est essentiellement publique, ces centres, où exercent médecins généralistes, infirmiers et travailleurs sociaux, ont été créés par l’ONG « Fraternité Médicale Guinée » (FMG), un mouvement associatif fondé en 1994 par de jeunes médecins guinéens dans le but de favoriser l’accès aux soins communautaires pour les populations vulnérables.

En Guinée, l’accès aux soins de santé mentale est extrêmement préoccupant : le pays compte cinq psychiatres et 38 lits d’hospitalisation pour douze millions d’habitants ; l’offre effective de soins se limite au service de psychiatrie de l’hôpital universitaire et à cinq centres de santé ayant intégré la santé mentale

Une première vague d’intégration – intitulée projet SaMOA (Santé Mentale en milieu Ouvert Africain) – s’est déroulée, entre 2000 et 2003, dans un centre FMG de Conakry, en collaboration avec un centre de santé mentale bruxellois. Le dispositif de formation in situ était basé sur trois principes : consultations conjointes, discussions de cas et actions communautaires. Les malades mentaux, se présentant au centre FMG, étaient reçus en consultation conjointe par un généraliste guinéen et un psychiatre belge ; des discussions à propos de ces patients, regroupant l’ensemble de l’équipe FMG et des soignants du centre de santé mentale bruxellois (psychiatre, psychologues et assistants sociaux), apportaient ensuite des éléments de théorie ; des actions communautaires étaient ensuite menées par les travailleurs sociaux pour favoriser la réinsertion des patients.

Une seconde vague d’intégration a alors été menée, entre 2008 et 2012, dans quatre centres de l’intérieur du pays : deux centres FMG, un centre associatif dirigé par un médecin et un centre public dirigé par un infirmier. Vu la petite taille de ces centres, la formation in situ a été remplacée par des séminaires dirigés, regroupant des membres du personnel des quatre centres. La formation était coordonnée par des soignants FMG de Conakry, issus du projet SaMOA, qui transmettaient leur propre expérience, avec l’appui d’intervenants extérieurs d’ONGs italienne et canadienne.

Découverte de la maladie mentale chez les soignants SM+ et déstigmatisation

Sans surprise, nous avons constaté d’importantes différences entre soignants SM+ [des centres ayant intégré la santé mentale] et SM– [de centres n’offrant pas de soins de santé mentale] en matière de connaissances. Les SM+ évoquaient des troubles mentaux variés, alors que les répondants SM– ne citaient aucun diagnostic médical, parlant de la « folie » de façon générique. Les SM– attribuaient la maladie mentale à la drogue, au diable et à la sorcellerie, minimisant l’importance des facteurs sociaux, qui étaient évoqués en premier lieu par la plupart des SM+. En revanche, la plupart des SM+ minimisaient la drogue comme cause possible.

Aucun répondant, ni SM+ ni SM–, n’excluait les causes surnaturelles : certains y adhéraient mais aucun ne les rejetait. Pour un médecin SM+, « cette tendance culturelle, elle est très respectée, et toi qui reçois le patient, il faut commencer par ne pas piétiner cette tendance culturelle ». Enfin, les répondants SM– n’évoquaient que les traitements traditionnels et n’avaient, pour la plupart, jamais entendu parler de traitements médicaux modernes pour les troubles mentaux ; aucun n’envisageait une possible réinsertion sociale, et plusieurs mentionnaient la nécessité d’enchaîner les malades pour les empêcher de nuire. En revanche, les répondants SM+ décrivaient les traitements, médicamenteux ou autres, instaurés dans leurs centres et l’accompagnement social visant la réinsertion.

Ils se disaient fiers de leurs succès thérapeutiques, avec des « patients améliorés », et de la gratitude des patients et des familles. Ils savaient qu’une partie de leurs patients poursuivaient des traitements traditionnels en parallèle, mais plutôt que de les rejeter, évoquaient leurs collaborations avec les guérisseurs.

Sans surprise, nous avons constaté d’importantes différences entre soignants SM+ [des centres ayant intégré la santé mentale] et SM– [de centres n’offrant pas de soins de santé mentale] en matière de connaissances. Les SM+ évoquaient des troubles mentaux variés, alors que les répondants SM– ne citaient aucun diagnostic médical, parlant de la « folie » de façon générique

Alors que les SM– décrivaient unanimement des sentiments de peur, parfois mêlés de pitié, les SM+ disaient, tout aussi unanimement, avoir surmonté leurs peurs initiales et s’être habitués à côtoyer les malades mentaux ; s’il faut maîtriser un patient violent, ils « osent » prêter main-forte aux collègues. Contrairement aux SM–, les SM+ insistaient sur l’accueil des malades mentaux et de leurs familles et sur la création d’un climat de confiance, les considérant comme les autres malades. La prise en charge de malades mentaux était pour beaucoup de SM+ source de satisfaction professionnelle.

Approche centrée sur le patient vs approche biomédicale : des variations entre la première et la seconde vague

En matière de participation du patient, aucun soignant n’envisageait de partager la décision de prescription médicamenteuse, mais ceux de la première vague prenaient au sérieux les souhaits du patient, notamment pour sa réinsertion, et le considéraient comme sujet et non objet de sa propre guérison : « je peux l’aider à quitter son monde différent et le faire revenir au monde réel ; il a perdu quelque chose qu’il peut retrouver ».

Tous les soignants jugeaient cruciale la qualité de la relation avec le patient et sa famille ; ceux de la seconde vague la considéraient comme un moyen nécessaire à l’observance de la prise de médicaments, tandis que pour les soignants de la première vague, elle jouait aussi un rôle thérapeutique. Enfin, aucun soignant n’a parlé ouvertement de son propre travail émotionnel face aux malades mentaux, mais les répondants de la première vague ont abondamment souligné la concertation en équipe comme lieu de partage des questionnements, tandis que le travail en équipe était très peu mentionné par les soignants de la seconde vague.

Tous les soignants jugeaient cruciale la qualité de la relation avec le patient et sa famille ; ceux de la seconde vague la considéraient comme un moyen nécessaire à l’observance de la prise de médicaments, tandis que pour les soignants de la première vague, elle jouait aussi un rôle thérapeutique

Ce sont essentiellement des soignants formés lors de la première vague qui ont évoqué la découverte d’une alternative « biopsychosociale » à la démarche biomédicale : « Le bon soignant était au départ celui qui prescrit les médicaments, maintenant, c’est aussi celui qui a une écoute active, une sympathie, un regard positif, une attention soutenue, qui a une vision de participation, le regard a changé ». La découverte de cette approche a influencé les attitudes et pratiques au-delà de la santé mentale : « Les entretiens avec les malades mentaux m’ont permis de faire un entretien avec d’autres malades… la santé mentale nous a permis d’être des personnes beaucoup plus attentives, qui écoutent et qui essaient de résoudre le problème des gens » ; « La consultation en santé mentale m’a permis de changer la façon de ma consultation avec toutes les pathologies ».

Comment expliquer ces différences d’approches entre première et deuxième vague ?

Le dispositif de formation de la première vague parait plus propice à une approche centrée sur le patient. Les formateurs, eux-mêmes acquis à une telle approche, ont proposé, lors de consultations conjointes, des modèles de rôle accentuant l’écoute dans la relation thérapeutique. Des discussions théoriques incluant toute l’équipe s’organisaient ensuite sur base de ces cas concrets. Tant la consultation conjointe que les discussions en équipe fournissaient des opportunités de répondre aux sentiments de peur et d’impuissance des soignants. Ce travail de développement personnel pouvait se prolonger grâce au soutien à distance et au travail en équipe.

Le dispositif de formation de la seconde vague reposait sur des séminaires avec un instructeur ; à défaut de situations réelles de consultation, les contacts avec des malades mentaux consistaient en observation en groupe de conversations entre formateurs et malades déjà pris en charge. Les soignants de la seconde vague soulignent principalement les apports cognitifs des séminaires dirigés, en particulier le diagnostic différentiel et la prescription de médicaments. Rien ne suggère que leurs besoins émotionnels aient été adressés. Or, plusieurs études convergent sur l’importance du soutien émotionnel des soignants pour une approche centrée sur le patient.

 

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