La gestion de la pandémie de la Covid-19 en Guinée

La gestion de la pandémie de la Covid-19 en Guinée

Ramadan Diallo

Le dernier coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19), a fait son apparition à Wuhan, capitale de la province de Hubei (Chine). L’épidémie a été officiellement annoncée le 31 décembre 2019 par les autorités chinoises, après des centaines de cas confirmés et quelques cas de morts dans la région.

Malgré les mesures sanitaires et de protection prises, le virus s’est vite propagé vers les autres pays du monde. Avec la vitesse de la propagation de la maladie, l’OMS a qualifié, le 30 janvier 2020, la flambée du Coronavirus «d’urgence de santé publique de portée internationale». Depuis, c’est le monde entier qui est touché par cette pandémie dont les conséquences sont à la fois humaine, économique et sociale.

A la date du 25 juillet 2020, les chiffres officiels de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS) indiquent que la Guinée est à 6 927 cas confirmés, 6 098 guéris et 42 décès hospitaliers, depuis la déclaration de son premier cas le 12 mars 2020. Sur le total des cas confirmés, les hommes (68%) sont plus touchés que les femmes (30,5%). La région spéciale de Conakry reste l’épicentre de la pandémie (plus de 80% des cas) même si toutes les régions sont touchées. Sur 33 circonscriptions territoriales, 14 n’ont pas enregistré de cas à la date du 21 juillet 2020. Des 8 régions administratives du pays, celle de Labé est la moins touchée.

Les mesures prises par l’État

Face à la propagation rapide du virus à travers le monde, les autorités guinéennes ont pris une série de mesures préventives et de lutte pour contenir la propagation de la pandémie. Ainsi, au lendemain même de la déclaration du premier cas à Conakry (le 13 mars 2020), il a été décidé de procéder au suivi automatique des voyageurs en provenance de pays à haut risque où la transmission est locale ; la confiscation des passeports des passagers en provenance des zones à haut risque durant leur période de suivi de la quatorzaine ; la fermeture de l’aéroport international de Conakry-Gbessia le 23 mars 2020 ; l’interdiction de mouvements des personnes de Conakry vers l’intérieur est également instaurée, de même que l’interdiction dans la capitale Conakry des rassemblements de plus de 100 personnes, puis progressivement de 20 personnes avant de revenir à nouveau à 100 personnes ; un couvre-feu allant de 21 heures à 5 heures à partir du 30 mars 2020, puis de 22 heures à 5 heures à partir du 15 mai 2020, et depuis la mi-juillet de minuit à 4 heures.

Ces différentes mesures n’ont pas freiné la propagation du virus au cours des mois qui ont suivi, du moins jusqu’à fin mai. Pour cause, entre autres, nombre de Guinéens ne semblent pas prendre conscience du danger, voire de l’existence de la maladie

Avec l’État d’urgence décrété le 26 mars, le pays a connu la fermeture totale des frontières sauf pour le cas de transports des marchandises avec seul 2 apprentis et un chauffeur, la réduction du nombre de passagers dans les transports en commun (urbain et interurbain), la fermeture des établissements d’enseignements et des lieux de cultes, la soumission de tout accès aux lieux publics, marchés et restaurants à l’application des gestes barrières.

Malheureusement, ces différentes mesures n’ont pas freiné la propagation du virus au cours des mois qui ont suivi, du moins jusqu’à fin mai. Pour cause, entre autres, nombre de Guinéens ne semblent pas prendre conscience du danger, voire de l’existence de la maladie. Il suffit d’observer la réaction des gens face au port du masque. Nombreux sont ceux qui portent le masque à la vue de l’agent de sécurité pour ne pas payer la contravention de 30 milles Francs Guinéens.

Quant à l’interdiction des rassemblements, il faut dire que c’est une mesure très peu suivie. Il suffit de voir les cérémonies traditionnelles qui n’ont guère vraiment cessé même si certaines familles jouent le jeu de la discrétion ou encore les marchés qui restent bondés de personnes.  Quant à la distanciation sociale, elle ne semble suivie que lors des rencontres officielles et formelles.

Les conséquences de la crise

A l’instar des autres pays de la planète, la pandémie Covid-19 a des impacts multisectoriels sur la Guinée. Plus qu’une crise sanitaire, c’est aussi une crise économique, social et parfois politique. Sur le plan macro-économique, l’impact du Covid-19 se traduit par une baisse attendue de la croissance économique en 2020. Selon les estimations de la Banque Mondiale, la croissance économique pourrait baisser de 1,5 à 2,7% en 2020 pour les pays hautement dépendant de l’exportation de ressources minières.

Sur le plan social, les prévisions indiquent que la pandémie de Covid-19 et les mesures de lutte et de prévention ont des impacts majeurs sur l’accès des ménages aux services sociaux essentiels et aux activités génératrices de revenu. La crise contribue ainsi à l’exacerbation des inégalités sociales.  Le Covid-19 remet également en cause le droit à la protection sociale et indirectement, les droits du travailleur.

La vulnérabilité généralisée de la population (respectivement 55% et 60% de la population située dans la pauvreté monétaire et/ou multidimensionnelle) et l’absence de mesures de protection sociale d’envergure (couverture sociale pour moins de 3% de la population) limitent fortement la capacité de résilience de la population guinéenne face à la pandémie du Covid-19. Selon les estimations de la Banque Mondiale, la baisse du bien être des ménages pourrait se situer entre 7 et 10% par rapport à la situation observée avant la crise.

L’impact social, voire global de la pandémie pourrait également se manifester par une baisse de l’activité dans tous les secteurs, particulièrement dans les domaines du commerce, de l’industrie manufacturière, de l’hôtellerie et du tourisme mais aussi, du transport et de l’agriculture

A cela s’ajoute un contexte socio-politique national relativement instable dans lequel la pandémie de Covid-19 intervient (troubles sociopolitiques du FNDC et du SLECG depuis 2019) et qui risque d’aggraver la situation précaire de plusieurs ménages. En effet, la Guinée pourrait compter 270 000 personnes en insécurité alimentaire et nutritionnelle sévère à partir de Juin 2020. La perturbation du transport urbain et de la production agricole, le faible approvisionnement des marchés notamment de produits alimentaires et la faible diversification alimentaire liée au mode de consommation de la population pourraient conduire à une plus forte exposition de la population à la malnutrition entrainant des maladies mortelles et autres facteurs de vulnérabilité. A noter que le taux de malnutrition aiguë globale est de 9% et la malnutrition chronique atteint 30% en Guinée.

L’impact social, voire global de la pandémie pourrait également se manifester par une baisse de l’activité dans tous les secteurs, particulièrement dans les domaines du commerce, de l’industrie manufacturière, de l’hôtellerie et du tourisme mais aussi, du transport et de l’agriculture pour ne citer que ceux-ci. Cette baisse de l’activité se traduira par des pertes d’emploi, notamment les emplois informels dans l’agriculture, le commerce, le tourisme et les services en particulier. Tous ces éléments induiront une baisse des revenus des ménages, de leur pouvoir d’achat et une augmentation de la pauvreté et de la vulnérabilité sociale, aussi bien à Conakry que dans le reste du pays.

Le plan de riposte

Pour mieux faire face à la pandémie, le gouvernement a mis en place un Comité interministériel présidé par le Premier ministre, Kassory Fofana. Trois principales initiatives ont été lancées dans ce cadre : des requêtes d’assistance urgentes ; un programme national prioritaire d’urgence ; et une étude d’impact et un programme de relance. Le gouvernement guinéen bénéficié d’importants appuis financiers et en nature venant de ses partenaires, mais s’est également appuyé sur les mobilisations internes.

Aussi, le gouvernement a institué un dispositif interministériel de riposte et un comité scientifique de riposte. Il a approuvé la mise en place d’un paquet de mesures prioritaires d’urgence destinées à mitiger les effets immédiats de la pandémie de la Covid-19. D’un coût global de 370 millions USD, ce programme s’articule autour de trois composantes: sanitaire; sociale; et d’appui au secteur privé. Les axes principaux de ce Programme visent à:

  • Renforcer et orienter les interventions de l’Agence nationale d’inclusion économique et sociale (ANIES) pour exécuter un plan d’urgence de 439 milliards de francs guinéens. Ces actions s’attachent à promouvoir la sensibilisation et la distribution de kits de protection, des transferts monétaires pour 240 000 ménages vulnérables ciblés (soit 1,6 millions de Guinéens), … ;
  • Mettre en œuvre des mesures sociales complémentaires consistant à prendre charge pour trois mois reconductibles, les factures des abonnés au tarif social de l’électricité et de l’eau pour un coût respectivement de 456 milliards de francs guinéens et de 24 milliards de francs guinéens
  • Décaler les échéances de paiement des factures d’eau et d’électricité pour l’ensemble des autres abonnés non commerciaux
  • Geler les prix des produits de santé et des denrées de première nécessité
  • Geler le prix des loyers pour les bâtiments publics et privés et les bloquer jusqu’en décembre 2020.
  • Le 8 juin 2020, pour endiguer la propagation de la Covid-19 en milieu communautaire, la stratégie «Stop Covid-19 en 60 jours» a été lancée. Elle vise l’interruption rapide de la chaine de transmission communautaire ; elle est bâtie sur une approche à base communautaire, avec une décentralisation aux niveaux opérationnels de la pyramide sanitaire et la responsabilisation des acteurs communautaires clés dans la zone Conakry-Coyah-Dubréka qui constitue l’épicentre de l’épidémie actuelle.

 

Sources:

  • Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS)
  • Analyse préliminaire multisectorielle de l’impact socioéconomique du Covid-19 en Guinée (ONU
  • Organisation mondiale de la santé (OMS)

 


Crédit photo: iGFM

Ramadan Diallo

 

Ramadan Diallo, de nationalité guinéenne, est docteur en Science politique et enseignant-chercheur à l’Université de Lyon (France) et à l’Université de Sonfonia-Conakry (Guinée). Il est également consultant sur les problématiques de démocratisation et des enjeux identitaires en Afrique. Il collabore avec WATHI sur le projet Guinée Politique.

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