Les étudiants guinéens face aux incertitudes de l’insertion professionnelle, Ester Botta Somparé et Abdoulaye Wotem Somparé, 2021

Les étudiants guinéens face aux incertitudes de l’insertion professionnelle, Ester Botta Somparé et Abdoulaye Wotem Somparé, 2021

Auteurs : Ester Botta Somparé et Abdoulaye Wotem Somparé

Type de publication : Papier de recherche

Date de publication : 2021

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts


 

Les représentations du monde du travail

Tous les étudiants perçoivent le monde du travail comme un secteur qui leur est hostile et l’insertion professionnelle comme un chemin parsemé d’embûches. Ils ont un jugement sévère sur l’État, qui rend l’accès à la fonction publique de plus en plus difficile et le font dépendre de logiques de népotisme, d’affiliation ethnique et politique. Ils accusent également les fonctionnaires les plus âgés de ne pas vouloir céder leur place aux jeunes en raison d’un contexte où les retraites sont dérisoires.

D’autre part, les étudiants attribuent une part de la responsabilité du chômage à la jeunesse en général : celle-ci n’est pas bien formée et rate les tests de recrutement dans les entreprises privées, où les critères d’embauche sont considérés comme plus objectifs que ceux de la fonction publique. Pour cette raison, les jeunes remettent souvent en cause leur formation. Ils critiquent l’école guinéenne, qui crée, selon eux, de graves lacunes dans la formation générale. Ils reprochent en outre à l’enseignement d’être trop général et théorique et de ne pas transmettre les compétences pratiques pouvant faire la différence sur le marché de l’emploi.

Dans un contexte où le recrutement dans la fonction publique apparaît difficile, presque utopique, pour les étudiants n’ayant pas de relations et carnets d’adresses, et où le secteur privé est très peu développé et offre peu de débouchés, les jeunes sont de plus en plus exhortés dans les discours officiels et médiatiques à créer leurs propres emplois et entreprises

Cette représentation négative du monde du travail est encore plus forte chez les jeunes femmes qui anticipent des obstacles supplémentaires : le risque d’être victimes de préjugés, selon lesquels les femmes seraient « paresseuses » et moins bien formées, et la crainte du harcèlement sexuel pendant le processus d’embauche ou dans le milieu du travail. Même si la plupart des femmes que nous avons interviewées (17 sur 21) se disent prêtes à se marier pendant leur cursus universitaire, elles redoutent, en même temps, les difficultés à concilier vie familiale et activité professionnelle.

Dans un contexte où le recrutement dans la fonction publique apparaît difficile, presque utopique, pour les étudiants n’ayant pas de relations et carnets d’adresses, et où le secteur privé est très peu développé et offre peu de débouchés, les jeunes sont de plus en plus exhortés dans les discours officiels et médiatiques à créer leurs propres emplois et entreprises.

Les itinéraires privilégiés des enfants des cadres

Les enfants de cadres sont moins inquiets que les autres : seulement 3 sur 14 se disent préoccupés par leur insertion professionnelle. Ils proviennent de familles détenant un capital relationnel nécessaire pour les placer sur le marché de l’emploi et un capital économique indispensable pour financer les études et les formations les plus valorisées par les employeurs. Ils s’inscrivent également dans une perspective de reproduction de leur statut social. Le parcours typique de ces jeunes est celui d’une instruction primaire et secondaire dans les écoles privées les plus prestigieuses, d’un cursus universitaire où ils ajoutent, à côté des cours, des formations plus pratiques en anglais, en informatique et quelques stages, et où ils jouissent, enfin, d’une expérience à l’étranger.

Les stratégies des étudiants d’origine sociale intermédiaire ou populaire : compter sur sa formation tout en élaborant des alternatives

Par contre, pour les étudiants au statut social intermédiaire, qui appartiennent à des familles de petits commerçants, de fonctionnaires et qui, comme pour les enseignants, n’ont pas accès aux ressources de l’État, les perspectives et les inquiétudes par rapport à l’emploi varient surtout en fonction de la présence, au sein de la famille élargie, de parents qui puissent accélérer l’insertion professionnelle. En effet, sur les 53 étudiants interviewés, 15 ont reçu des promesses : ils sont les moins inquiets et se préoccupent avant tout de préserver la confiance de la personne censée les aider et de se former pour être à la hauteur de l’emploi promis.

Les étudiants de statut social intermédiaire, qui ne bénéficient pas d’un capital économique ou relationnel aussi riche que celui des enfants de cadres, comptent avant tout sur leur formation universitaire pour espérer décrocher un emploi, en commençant par des stages, ou pour avoir les compétences nécessaires pour devenir entrepreneur.

Ces étudiants ont également la caractéristique de compter sur des alternatives à mettre en œuvre au cas où ils ne parviendraient pas à trouver un emploi en rapport avec leurs études. En particulier, les enfants de commerçants, mais aussi d’artisans, peuvent toujours se rabattre sur l’atelier ou la boutique familiale. Parmi les enfants de commerçants, certains sont d’ailleurs porteurs d’un projet de modernisation de l’activité des parents. 

Les étudiants d’origine rurale sous la pression des attentes familiales

Les étudiants d’origine rurale, dont les parents n’ont pas, sauf dans le cas des familles d’éleveurs peul, un capital à investir dans les études, vivent en ville auprès de tuteurs ou, plus rarement, dans des chambres qu’ils louent avec des amis ressortissants des mêmes village ou district. Pour financer leurs études, certains d’entre eux peuvent travailler, par exemple comme serveurs dans les bars ou dans les cafés. Ces jeunes, parfois très démunis, comptent essentiellement sur leurs études pour s’en sortir, car leur situation économique ne leur permet pas de faire des formations complémentaires.

Les étudiants de statut social intermédiaire, qui ne bénéficient pas d’un capital économique ou relationnel aussi riche que celui des enfants de cadres, comptent avant tout sur leur formation universitaire pour espérer décrocher un emploi, en commençant par des stages, ou pour avoir les compétences nécessaires pour devenir entrepreneur

Les étudiants d’origine rurale ressentent, plus que les autres, le poids des attentes de leur famille et de toute leur communauté villageoise. Après avoir vu leurs camarades de l’école primaire et du collège abandonner leurs études pour assister les parents dans les activités agropastorales, ou simplement échouer aux examens, le fait d’être arrivé au seuil de l’université est déjà perçu comme une réussite quasi miraculeuse. À partir du collège, les espoirs de l’ensemble du village se concentrent sur ces élèves prometteurs, qui en tirent à la fois un sentiment d’exaltation et la crainte de ne pas pouvoir répondre à ces attentes.

Cette pression est accentuée par les campagnes de sensibilisation en faveur de la scolarisation en milieu rural, qui continue de présenter les bancs de l’école comme le point de départ d’un destin exceptionnel. Cette construction alimente les rêves et parfois même les ambitions démesurées, non seulement chez les familles illettrées des villages, mais également chez certains étudiants, qui nous disent vouloir ouvrir une banque, devenir ministre ou même président de la République !

Un idéal : contribuer au développement du pays

Les étudiants de milieu rural ne sont pas les seuls à vouloir participer au développement de leur village ou district : chez de nombreux étudiants, il y a le sentiment de participer à une mission collective, à un combat pour le développement de la Guinée. Depuis les premières conférences sur l’éducation en Afrique, à partir des années 1960, les élèves et les étudiants ont été considérés par les experts des institutions internationales et les dirigeants au pouvoir comme une élite pouvant favoriser la modernisation de leur pays.

Les étudiants d’origine rurale ressentent, plus que les autres, le poids des attentes de leur famille et de toute leur communauté villageoise. Après avoir vu leurs camarades de l’école primaire et du collège abandonner leurs études pour assister les parents dans les activités agropastorales, ou simplement échouer aux examens, le fait d’être arrivé au seuil de l’université est déjà perçu comme une réussite quasi miraculeuse

Parfois, cet idéal ne relève pas seulement de la rhétorique, mais se construit sur la base d’un témoignage d’un proche, d’un épisode de corruption relayé par un média ou d’un abus vécu. D’ailleurs, les étudiants dont la formation prévoit des stages, comme les journalistes ou les médecins, ont une idée plus éclairée du monde du travail et de ses dysfonctionnements, où ils constatent la divergence entre les règles d’éthique et la déontologie apprises en cours et les pratiques effectives déployées par les acteurs. Par exemple, les étudiants en journalisme ont déjà fait l’expérience de la censure et se plaignent des restrictions de la liberté de la presse. Pour les médecins, qui souhaitent soigner les malades et améliorer un système sanitaire en crise, les logiques marchandes qui sous-tendent certaines pratiques médicales sont insupportables.

Pour les étudiants, le sous-développement est donc à la fois un ensemble de contraintes qui peuvent étouffer la créativité et les projets, et, parfois, une opportunité. Les expressions évoquant l’idée d’un pays « en chantier » où « tout est à construire » reviennent souvent dans les entretiens et suggèrent un défi à relever pour ces étudiants-créateurs.

 

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