Microcrédit et surendettement des femmes de la Haute-Guinée, Revue internationale des études du développement, Septembre 2022

Microcrédit et surendettement des femmes de la Haute-Guinée, Revue internationale des études du développement, Septembre 2022

Auteur : Soumahila Bayo

Site de publication :  Revue internationale des études du développement

Type de Publication : Article

Date de publication : Juin 2023

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Introduction  

Le microcrédit s’est fortement développé au cours des dernières décennies dans les pays en développement. D’abord présentées par ses promoteurs comme un tremplin efficace vers la création ou la stabilisation d’activités génératrices de revenus, et donc la sortie de la pauvreté, particulièrement pour les femmes, les « promesses » du microcrédit ont ensuite été mises en doute.

À la suite des diverses crises d’impayés et de surendettement qui ont entaché le secteur après la crise globale de 2008, certains auteurs en sont même venus à se demander si, face à la pauvreté, le microcrédit n’était pas davantage le problème que la solution. On dispose aujourd’hui d’un certain recul permettant une vision nuancée des effets du microcrédit : la question n’est pas de savoir si ce dernier « marche » ou ne « marche pas », mais plutôt d’étudier la diversité de ses modalités, des contextes d’intervention et des populations visées.

Bref Aperçu des normes de genre en haute-Guinée

Les femmes restent fortement discriminées dans l’accès aux revenus, avec un taux d’emploi de 47,7 % (contre 72,1 % pour les hommes). Quant à l’accès à la terre, 73 % de femmes n’en possèdent pas. Seulement 7 % en possèdent, seules, et 6 %, avec d’autres personnes. Concernant l’accès à la propriété, seulement 7 % des femmes de 15-49 ans possèdent une maison. Dans le domaine de la santé, le taux de mortalité maternelle est de 724 décès pour 100 000 naissances vivantes.

Face à ces réalités, le microcrédit, qui s’est développé dans la région depuis environ vingt-cinq ans, apparaît comme une opportunité permettant aux femmes de consommer, démarrer, renforcer ou encore diversifier des activités génératrices de revenus dans les secteurs du commerce, de l’artisanat et de l’agriculture. Outre ces acquis, il ne faut cependant pas occulter le surendettement comme limite et effet pervers du microcrédit. 

Signification sociale de la dette et du (sur)endettement des femmes

La dette peut éloigner une personne des siens, car, dans une situation d’insolvabilité, pour sauvegarder sa dignité, une personne surendettée prend souvent la fuite pour se mettre à l’abri des commérages et du mépris. Un dicton l’exprime bien : « Dyulu le ka misi den ni à na fada », ce qui signifie littéralement « c’est la corde/dette qui a séparé le veau de sa mère. » Cela signifie que la dette est un facteur de désagrégation de liens sociaux : il peut occasionner une séparation conflictuelle entre le créancier et le débiteur ou encore occasionner l’éclatement de la cellule familiale en éloignant des siens une personne surendettée et insolvable.

L’opprobre social est beaucoup plus marqué chez les femmes pour au moins deux raisons : la dépendance relative de la femme par rapport à l’homme et le contrôle du corps de celle-ci. Ce sentiment est partagé par plusieurs enquêtés. Un vieil enseignant à la retraite note que : « Le pouvoir phallocratique exercé par les hommes cherche à emprisonner les femmes et les rendre absolument dépendantes de l’homme en dehors duquel elles ne doivent rien entreprendre sans permission ».

Microcrédit et consommation

En zones rurales, la contribution des femmes au budget familial est fréquente en période de soudure. Elle l’est davantage pour les veuves et les divorcées qui élèvent seules leurs propres enfants, ainsi que d’autres enfants ou personnes sous leur protection.

Dans le but de subvenir aux besoins des ménages, les femmes orientent une part du microcrédit vers les dépenses de consommation familiales comme l’alimentation, la célébration des cérémonies (mariage, baptême, funérailles), la scolarité des enfants, les soins médicaux, l’habillement ainsi que la rénovation/construction et l’équipement des maisons. Si cette participation au budget familial reflète un certain pouvoir d’action, elle peut néanmoins facilement engendrer le surendettement.

Dans l’un ou dans l’autre cas, le décès du conjoint ainsi que la maladie ont, d’une part, créé des dépenses imprévues et, d’autre part, occasionné l’arrêt de l’exercice des activités économiques pour lesquelles les microcrédits sont contractés. Ces exemples illustrent parmi tant d’autres les limites du microcrédit lorsqu’il est destiné à des dépenses non productives, et plus encore, dans des contextes où il n’existe aucune protection sociale contre les risques de l’existence.

La faible rentabilité des produits commercialisés

Avec la fermeture des frontières, l’épidémie a sévèrement impacté les activités économiques, en induisant une baisse de nombreuses activités, la perte par pourrissement d’importantes quantités de produits agricoles destinés à l’exportation et, par effet de ricochet, la baisse générale de la demande intérieure et des prix.

Les commerçantes transfrontalières ont vu leurs activités stoppées. Il en est de même pour des groupements agricoles qui ont été contraints de vendre leurs productions sur les marchés locaux à un faible prix rémunérateur pour rembourser une partie du prêt. Des groupements de production de sésame ont revendu le kilo de sésame à 5 000 GNF (soit 50 centimes d’euro) sur le marché local guinéen alors qu’ils pouvaient en obtenir 7 000 GNF (soit 70 centimes d’euro) avec les acheteurs ivoiriens ou maliens.

Pression sociale, stigmatisation et fuite

La tolérance à l’égard du non-remboursement reste donc faible. Nos observations mettent en exergue des attitudes « répressives » des agents de crédit lors des réclamations des dettes. Elles vont de la convocation des emprunteurs à la gendarmerie à l’affichage public des photos en passant par leur rétention pendant de longues heures dans les locaux des IMF, ou à la réclamation publique des dettes à domicile ou dans les lieux de travail. Au siège de Finadev (Finance Développement), à Conakry, les photos des clients insolvables comportant la mention « mauvais payeurs » sont affichées au centre de la salle d’accueil des clients.

Toutefois, le désir d’obtenir plus d’argent amène certaines femmes à contracter des mariages de courtes durées ou à pratiquer la prostitution (de façon clandestine ou affichée) même si cela n’est pas socialement et officiellement admis en Guinée.

En effet, le mariage de courte durée « foudou koudouni » consiste pour une femme à contracter une union conjugale durant son séjour à la mine avec un autre homme en plus de son conjoint légitime. Cette vie circonstancielle de couple perdure jusqu’au moment où la femme obtient une quantité suffisante d’or et d’argent pour regagner le conjoint légitime. Bien que la pratique soit critiquée, la réintégration des femmes au foyer conjugal est facilitée en raison du désir des époux de ne pas séparer les enfants de leur mère en divorçant.

 

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